Lectures guénouvriennes n°5

La rubrique "Lectures guénouvriennes" présente succintement quelques ouvrages en référence à la psychothérapie institutionnelle, à la psychanalyse, au travail en institution, avec des personnes autistes, psychotiques... Pour chaque livre présenté, nous reprenons la quatrième de couverture de l'éditeur. Pour d'autres lectures, nous vous invitons également à la rubrique "Réflexions / Notes de lectures".

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CITTON Yves. L'avenir des Humanités. Economie de la connaissance ou cultures de l'interprétation?

Editions La Découverte, Paris, 2010

En parlant de « communication », de « société de l'information » ou d'« économie de la connaissance », on laisse souvent penser que le savoir se réduit à une masse de données segmentées, isolées, brevetables et commercialisables comme n'importe quelle marchandise.
Devant cette vision appauvrie et sclérosée, Yves Citton renverse la perspective et révise notre imaginaire du savoir. Il montre que les Humanités, souvent considérées comme poussiéreuses voire inutiles, cultivent une compétence incontournable, celle de l'interprétation. Très loin de la simple « lecture » automatisée d'informations computables, revêche à toute réduction économiste, l'interprétation est une activité qui demande à être cultivée par un soin très particulier. La dynamique propre à ce geste diffus dans toutes nos pratiques est faite de tâtonnements, d'errances et d'erreurs, de suspens, de sauts, de bifurcations, de rencontres - où l'intuition (esthétique) joue un rôle aussi important que la systématicité (scientifique).
Devant l'emballement de la course au profit, l'exacerbation des inégalités sociales et le mur écologique qui nous font face, affirme Yves Citton, une reconsidération des Humanités est indispensable pour quiconque se préoccupe de l'avenir de l'humanité.

Yves Citton est professeur de littérature à l’université de Grenoble et chercheur au CNRS (UMR LIRE). Il a publié aux Éditions Amsterdam Mythocratie. Storytelling et imaginaire de gauche (2010), Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ? (2007), et L’Envers de la liberté. L’invention d’un imaginaire spinoziste dans la France des Lumières (2006). Il est membre du collectif de rédaction de la revue Multitudes et collabore régulièrement à la Revue Internationale des Livres et des Idées.


REY-FLAUD Henri. Les enfants de l'indicible peur. Nouveau regard sur l'autisme.

Aubier, Collection La psychanalyse prise au mot, 2010

Ce livre met en lumière un visage inconnu de l’enfant autiste. Si cet enfant n’est jamais entré dans le « monde des gens », c’est qu’il a été frappé d’une indicible peur devant son étrangeté et médusé par sa beauté. Cette révélation rend la figure du petit garçon ou de la petite fille hors … Lire la suitedu temps et hors d’atteinte tout à coup moins énigmatique. C’est non seulement cette rencontre manquée avec l’Autre que Henri Rey-Flaud nous fait découvrir, mais encore les stratégies savantes mises en œuvre par l’enfant pour ne pas être submergé par le réel, ni emporté par la dynamique du langage : ainsi Sarah accrochée à son coquillage-fétiche ou Antonio maniant son miroir, lieu de sa disparition et de sa renaissance. Que ces défenses soient insuffisantes à contenir sa peur, c’est ce dont témoigne la façon qu’il a de murer son regard, sa voix et son corps. Une rétention, quelquefois totale, difficile à soutenir pour les parents. Mais la forteresse dans laquelle il se replie n’est pas vide : un guetteur veille en permanence, attentif à l’Autre redouté et, on ne le sait pas, souvent attendu. Son visage « partagé par le milieu », selon la formule d’un patient, un œil tourné vers l’intérieur et l’autre vers le monde, exprime cette contradiction. Le lien subtil ainsi maintenu avec la communauté des hommes montre que de telles conduites de retrait ne sont pas l’effet d’une incapacité mais d’un refus résolu qui invalide la mise en cause brutale des parents, avancée par les premiers spécialistes. L’enfant autiste présente une figure inédite du « non-agir » promu par les sagesses orientales, qui détermine son rapport paradoxal à la « normalité » et montre que la guérison, dans son cas, signifie rompre le charme, lever l’enchantement qui le tient prisonnier.

Henri Rey-Flaud, psychanalyste, a enseigné la psychanalyse à l'université Paul- Valéry de Montpellier. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont" Et Moïse créa les Juifs... " Le testament de Freud (Aubier, 2006) et L'enfant qui s'est arrêté au seuil du langage. Comprendre l'autisme (Flammarion, 2008; rééd. coll. "Champs", 2010).


DANA Guy, Quelle politique pour la folie? Le suspense de Freud.

Editions Stock, Collection L'Autre Pensée, 2010

C'est un nouvel espace d'hospitalité à la folie que ce livre tente de penser à partir de ce que l'auteur, psychiatre et psychanalyste, a pu créer au sein même du service qu'il dirige et dans les cures auprès des malades.
Partant des principes directeurs de la psychanalyse, l'idée tenace de ce livre est qu'une politique qui s'installe au coeur de la ville peut permettre de contourner la menace qui pèse actuellement sur le champ social dans son entier, et sur la psychiatrie en particulier : exigence de rendement et instrumentalisation de nos peurs, évaluation tronquée par les normes, culte de la performance et du résultat.
Dans ce contexte, l'isolement sécuritaire et la réponse médicamenteuse systématique peuvent-ils être évités ? Guy Dana répond, soutenu par l'inventivité de la psychanalyse, en privilégiant une solidarité indéfectible avec ceux qui sont au quotidien sur le terrain. Il montre, et l'idée est novatrice, que les impasses que l'on rencontre dans le traitement des psychoses sont aussi des balises pouvant ouvrir un nouvel horizon.
La psychanalyse, pense-t-il, revisitée par Freud, Lacan et Winnicott, est aujourd'hui l'antidote qui permet de proposer et d'initier de façon rigoureuse une autre approche de la folie et de la souffrance humaine. Malgré, ou avec, un certain suspense.

Guy Dana est né en 1948 à Alexandrie. Après des études de médecine et de philosophie, il s'engage dans le monde de la psychiatrie. Appartenant au courant lacanien, il est nommé en 1991 chef de service d'un secteur de psychiatrie générale. Il est de 1997 à 2000 le président du Cercle freudien. En 2003 il organise, au Sénat, le Forum des psychanalystes pour le Proche-Orient. Membre depuis janvier 2009 du groupe des 39 contre La Nuit sécuritaire, il se bat pour une orientation de la psychiatrie comptable des sciences humaines et de la psychanalyse.


Manifeste pour la psychanalyse

La Fabrique éditions, 2010

De toujours la psychanalyse a suscité méfiance et rejet, et les tentatives d’arraisonner cette pratique singulière et dérangeante n’ont pas manqué au fil de l’histoire. L’article 52 de la loi du 9 août 2004, qui réglemente l’usage du titre de psychothérapeute, a franchi un pas : en incluant les psychanalystes, cette loi sert de cheval de Troie à la logique des évaluations, des garanties d’État et à l’idéologie du risque zéro, pour envahir le champ psychanalytique. Loin des insipides controverses « pour ou contre la psychanalyse », ce livre propose un état des lieux du mouvement psychanalytique et une réflexion sur ce qui fait la singularité et la richesse de l’expérience analytique. L’ambition des auteurs — qui en 2004 ont été, avec quelques autres, à l’origine du Manifeste pour la psychanalyse — est de créer un espace politique pour que l’impact insurrectionnel de la découverte freudienne et de sa refonte lacanienne ne soit pas perdu, mais au contraire revivifié à l’aune des impasses de nos civilisations, qu’elles soient déclinantes ou émergentes.


Sophie Aouillé / Psychanalyste à Paris, elle est membre de la lettre lacanienne, une école de la psychanalyse et du comité de rédaction de la revue Essaim.
Pierre Bruno / Psychanalyste à Paris, il est membre de l’Association de psychanalyse Jacques Lacan. A créé et dirigé la revue Barca ! (poésie, politique, psychanalyse), puis dirigé la revue Psychanalyse. Vient de publier Lacan passeur de Marx (Erès, 2010).
Franck Chaumon / Il exerce la psychanalyse à Paris. Il anime l’association Pratiques de la folie. Parmi ses publications : Lacan, La loi, le sujet et la jouissance (Michalon, 2004).
Michel Plon / Psychanalyste à Paris, il est membre du comité de rédaction de la revue Essaim et de La Quinzaine littéraire.
Erik Porge / Il est psychanalyste à Paris. Ancien membre de l’efp jusqu’à sa dissolution, il est actuellement membre de la lettre lacanienne. Cofondateur de la revue Littoral, il dirige la revue Essaim et a publié de nombreux ouvrages, notamment chez Erès.


HAZAN Eric, LQR Lingua Quintae Respublicae, La propagande du quotidien.

Editions Raisons d'Agir, 2006

De modernité à gouvernance en passant par transparence, réforme, crise, croissance ou diversité : la Lingua Quintae Respublicae (LQR) travaille chaque jour dans les journaux, les supermarchés, les transports en commun, les « 20 heures » des grandes chaînes, à la domestication des esprits. Comme par imprégnation lente, la langue du néolibéralisme s’installe : plus elle est parlée, et plus ce qu’elle promeut se produit dans la réalité. Créée et diffusée par les publicitaires et les économistes, reprise par les politiciens, la LQR est devenue l’une des armes les plus efficaces du maintien de l’ordre.
Ce livre décode les tours et les détours de cette langue omniprésente, décrypte ses euphémismes, ses façons d’essorer les mots jusqu’à ce qu’ils en perdent leur sens, son exploitation des « valeurs universelles » et de la « lutte antiterroriste ». Désormais, il n’y a plus de pauvres mais des gens de condition modeste, plus d’exploités mais des exclus, plus de classes mais des couches sociales. C’est ainsi que la LQR substitue aux mots de l’émancipation et de la subversion ceux de la conformité et de la soumission.

 


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LEBRUN Jean-Pierre, La condition humaine n'est pas sans conditions, Entretiens avec Vincent FLAMAND

Editons Denoël, 2010

Érasme l'avançait : «On ne naît pas humain, on le devient.» Mais comment peut-on le devenir? Quelles évolutions, quelles contraintes doit-on accepter, dès l'enfance puis tout au long de son existence, pour pouvoir vivre véritablement comme un homme? Et en quoi la société dans laquelle nous vivons favorise-t-elle ou empêche-t-elle ce parcours vers l'humanisation? Autant de questions que Jean-Pierre Lebrun travaille à clarifier depuis de très nombreuses années. Refusant à la fois la nostalgie d'un passé idéalisé et d'être aveuglé par les sirènes du «progrès», il se demande si nous sommes encore capables, voire soucieux, de désirer. Sachant que le désir, le propre de l'homme, a affaire au langage et au manque. Et qu'il se différencie de la jouissance, comblante et par là même mortifère. Or notre société dite néolibérale, imposant la recherche éperdue de ladite jouissance, confondant égalité et égalitarisme, affaiblissant la fonction paternelle au nom du rejet, certes légitime, du patriarcat, tend à dévaloriser tout ce qu'implique la condition humaine. Ce qui a des conséquences majeures, et très concrètes, qu'explore ici Jean-Pierre Lebrun, dans tous les domaines de la vie individuelle et collective : la politique, l'éducation, la culture, le psychisme et ses pathologies, mais aussi la vie conjugale ou les modes de consommation. Une réflexion profonde mais accessible, du point de vue de la psychanalyse, sur les problèmes cruciaux que doit affronter l'homme contemporain.

Jean Pierre Lebrun, psychiatre et psychanalyste, ancien président de l'Association freudienne internationale, a publié une dizaine d'ouvrages, parmi lesquels Un monde sans limite (Eres, 1997), L'Homme sans gravité (entretiens avec Charles Melman, Denoël.
2002) et La Perversion ordinaire (Denoël. 2007).

Vincent Flamand, philosophe. a publié en 2010 un premier roman. D'aussi loin que je me souvienne, il s'est toujours levé tôt, aux Editions de L'Aube.


Expériences de la folie, sous la direction de Patrick CHEMLA

Editions Erès, La Criée Reims, 2010.

Faire « l'expérience de la folie » renvoie à l'énigme de l'Inconscient que l'invention freudienne a défriché mais qui nous revient toujours de façon inédite et bouleversante. Cela relance une traversée de ce qui, au plus intime de chacun, fait obstacle ou empêchement à la rencontre de la folie, à rebours de l'hygiénisme et de la prévention généralisée que notre société impose aujourd'hui dans l'espoir insensé d'en finir avec la maladie, mentale ou somatique, voire même avec la mort.

Renoncer au leurre séducteur d'un « savoir par avance », quand bien même il puiserait aux meilleures sources, est nécessaire pour privilégier « la parole vraie » et le geste nécessaire. Encore faut-il sans cesse subjectiver les théories analytiques pour fabriquer sa « boîte à outils conceptuels » qui se trouvera malmenée à chaque fois, et surtout prendre le risque de la rencontre. Les auteurs en témoignent chacun à leur manière.

Patrick Chemla est psychiatre, chef de service, psychanalyste.

Avec la participation de : Yacine Amhis, Mathieu Bellahsen, Loriane Brunessaux, Hervé Bokobza, Coralie Da Silva, Patrick Faugeras, Anne-Line Fournier, Olivier Grignon, Émile Lumbroso, Simone Molina, Jean Oury, Jean-Claude Polack, Christelle Pourrier, Laure Thiérion.


DELION Pierre, Le corps retrouvé. Franchir le tabou du corps en psychiatrie. Variations sur psychiatrie, psychanalyse et institution.

Hermann Editeurs, 2010

Penser la psychiatrie sans le corps est une démarche d'exclusion épistémologique dont l'actualité témoigne. En s'éloignant des dispositifs thérapeutiques que la psychiatrie avait acquis, un tabou du corps s'est progressivement installé. Le franchir, c'est lever le silence sur l'enfermement, repenser la psychopathologie dans son rapport entre psychanalyse et psychiatrie, repenser le corps comme «objet parleur». C'est ainsi reprendre la question du transfert dans la psychose avec la notion d'image du corps, lieu dans lequel se dépose l'histoire d'un sujet avec les autres.

En explorant les nombreux travaux d'approche du corps en pédo-psychiatrie (Dolto, Anzieu, Geneviève Haag, André Bullinger, mais aussi Jacques Schotte sur la notion de contact), l'ouvrage reprend largement la question du transfert en institution en référence aux pratiques de Tosquelles, Oury, Racamier, Resnik... Ainsi, le corps psychotique dissocié peut-il être accueilli et travaillé au sein d'une institution vécue comme «constellation» ou «champ» transférentiel.

Ce livre est aussi un défi contre une forme d'angélisme psychanalytique qui réhabilite à ses dépens le partage instauré entre la médecine propriétaire du corps et la psychanalyse de la lettre. Par son axe spécifique, Pierre Delion refonde une psychiatrie politique renouvelée.

Pierre Delion est professeur de pédopsychiatrie à la faculté de médecine de Lille 2, chef du service de pédopsychiatrie au CHRU de Lille et psychanalyste.


STIEGLER Bernard, Ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. De la pharmacolgie.

Flammarion, Bibliothèque des savoirs, 2010

Qu'on l'admette ou qu'on le dénie, chacun sent bien qu'à présent l'avenir de la vie terrestre se trouve mis en jeu dans une urgence inouïe. Et chacun sait que, depuis la séquence historique qui s'est engagée en 2007 et qui paraît avoir déclenché ce qu'on appellerait en physique nucléaire une réaction en chaîne, chaque pas compte et semble se surcharger systémiquement de conséquences très difficilement réversibles - sinon absolument irréversibles. Cette crise est sans précédent d'abord en cela. Si krisis signifie bien et d'abord décision, elle est critique comme jamais : elle révèle que le destin humain - qui est un destin inéluctablement technique et technologique - est pharmacologique au sens où, en grec, le pharmakon est à la fois le remède et le poison. Le pharmakon est à la fois ce qui permet de prendre soin et ce dont il faut prendre soin - au sens où il faut y faire attention: c'est une puissance curative dans la mesure et la démesure où c'est une puissance destructrice. Tel est aussi le feu dans la mythologie grecque. Devenu technologie industrielle, le pharmakon est de nos jours hégémoniquement contrôlé par l'économie, c'est-à-dire par le marketing, et c'est une calamité. Cet état de fait, qui a installé une économie de l'incurie génératrice d'une bêtise systémique, signifie que la question du soin - que l'on appelle aussi le care - est une affaire d'économie politique, et non seulement d'éthique.

Bernard Stiegler, philosophe, est notamment l'auteur de La Technique et le temps, Mécréance et discrédit, De la misère symbolique, et Prendre soin. Il est co-fondateur d'Ars Industrialis, Association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit (www.arsindustrialis.org).


GORI Roland, De quoi la psychanalyse est-elle le nom? Démocratie et subjectivité.

Editons Denoël,2010.

Doit-on dépister les schizophrènes dangereux comme on dépiste le diabète? Doit-on soigner sans consentement les malades mentaux soupçonnés de présenter un danger pour eux-mêmes ou autrui? L'imagerie médicale du cerveau dit-elle la vérité? Devrait-on y soumettre les prévenus, les conjoints adultères et les employés soupçonnés d'indélicatesse? Autant de questions que nos sociétés abordent par le fait divers et les émotions collectives pour ne pas avoir à y réfléchir. Face à une logique de l'audimat qui ne cesse de gagner du terrain, face à une régression sécuritaire qui atteint la vie politique, mais aussi la justice, l'école et la santé, la psychanalyse apparaît comme un antidote. Elle résiste aux nouvelles idéologies de la résignation en reconnaissant à l'humain sa dimension tragique, conflictuelle, singulière autant qu'imprévisible. Confrontés aux nouveaux cyniques qui veulent en finir avec elle et avec la culture qui en est issue, il nous importe plus que jamais de savoir de quoi la psychanalyse est le nom.

Roland Gori a notamment publié Logique des passions (Denoël, 2002), La Santé totalitaire (Denoël, 2005), Exilés de l’intime (Denoël, 2008).
Il fut en 2009 l’un des initiateurs de l’Appel des appels.


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