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L'accueil du symptôme en I.R.
Développement de l'Atelier 10 (I.R. Guénouvry - 44)
Plan de l'intervention
• Présentation du centre de Guénouvry, « I.R. à taille humaine ».• Face à la violence sans objet, il s’agit de proposer une réponse qui permette à la question de s’inscrire socialement.
• Mise en place d’instances qui n’évitent pas le conflit. Il s’agit de promouvoir la parole du sujet.
• Comment accueillir un symptôme violent ? Une place est pourtant nécessaire à son expression pour passer de l’acte à la parole.
• « La responsabilité pour autrui » (Levinas), condition de métabolisation de la violence.
Une place repérée est nécessaire pour répondre à la demande symptômatique des actes de violence qui peuvent être entendus comme tentative de sortie d’un monde sans limite.
Situé dans un village verdoyant, entre Nantes et Rennes, le Centre de Guénouvry est un Institut de Rééducation de petite taille, autant dire à dimension humaine. Il accueille seize enfants, qu’on dit autistes ou psychotiques, dans une vieille bâtisse républicaine, école Communale émergeant à peine des brumes du XIX° siècle, et dont la cour de récréation est ceinte de hauts murs. L’objectif de l’institut, dispositif rural, est, en référence à la loi de janvier 2002, de se centrer sur les usagers, enfants et familles : entendre la souffrance d’un sujet, nécessite, d’abord, de lui faire une place. Pour cela, refusant, toute ségrégation, il pose la question de la place nécessaire à l’écoute des symptômes d’enfants en grande difficulté psychique dont la violence est l’une des expressions. Sa référence est la psychothérapie institutionnelle : quelle que soit l’hypothèse sur l’origine des troubles, il s’agit de viser l’aménagement d’instances susceptibles, par leurs interactions, de relancer le processus psychique, de promouvoir le langage en faisant place à la parole de chacun, dans un ensemble symbolique qui tente d’éviter la langue de bois et les bavardages institutionnels. Pour des enfants psychotiques, il y a nécessité de reconnaissance de la spécificité humaine, c’est-à-dire d’une place repérée, d’abord contenante, afin qu’advienne une parole qui prenne valeur dans un ensemble consistant.
D’où l’importance, pour ce type de soin, de s’inscrire dans un lieu, ne refusant pas la singularité, marqué d’une histoire, dans le cadre convivial d’un village, naturel et apaisant, inscription nécessaire en contradiction avec l'actuelle individualisation urbanisée.
La violence, hors conflit, à laquelle nous sommes confrontés n’est elle pas l’expression de la solitude de masse des grandes villes ? On dit qu’elle se présente, aujourd’hui, comme étant sans objet. A Guénouvry la réponse, précédent ainsi la question, ne permet-elle pas, d’accueillir l’acte, comme un symptôme, qui s’adresse à l’autre, au sens freudien, offrant au sujet en déshérence la possibilité de s’inscrire dans un tissu social et langagier ?
Face à la violence, la loi de janvier 2002 est d’un appui précieux à une pratique, déjà ancienne, qui pose, ici, la question des places et de leurs limites. On ne peut, en effet, faire l’impasse de la symbolisation apte à nouer les liens. Entendre ce que demandent les jeunes dans leurs actes insensés, c’est reconnaître et respecter leur désir fondamental d’être reconnus dans leur humanité parlante, point de verrouillage non seulement de l’altérité, mais aussi origine de toute socialité.
Pour illustrer ces propos, nous proposons trois tranches de vie quotidienne du Centre de Guénouvry, trois chapitres intitulés :
2 – « La cour de re-création »
En milieu ordinaire, les enfants jouent « à la maîtresse », à imiter l’école. A Guénouvry, quelquefois, pendant les récréations, les enfants mettent en scène un lieu très repéré dans l’institution : ils jouent à « on voit ce qu’on fait ». Cela souligne l’investissement attaché à cet espace-temps communautaire qui rythme les journées, et témoigne au jour le jour de la mise en œuvre d’une pratique d’accueil d’une parole se substituant à l’acte.
? Qu’est que c’est ?
Au son de la cloche (eh oui, nous sommes dans une ancienne école publique !), en début de matinée ou d’après-midi, enfants et adultes se rassemblent dans la véranda autour d’un tableau où les propositions d’activité de la demi-journée sont notées, sous formes d’icônes les représentant. Les noms des adultes référents de ces ateliers sont également inscrits.
Chaque
enfant, à tour de rôle, est invité à indiquer son
choix. Ce choix est ensuite inscrit au tableau venant là signifier
concrètement la place de chacun. Même celle d’enfants hors
des murs de l’institution (par exemple en intégration scolaire,
ou bien absents pour cause de maladie) est marquée.
? Qu’est ce qui s’y joue ?
C’est, avant tout, la reconnaissance de la parole de chacun. Chaque enfant, là où il en est, peut exprimer son désir. Même des enfants dits mutiques (Le centre de Guénouvry accueille des enfants souffrant de troubles variés : troubles du comportement, psychoses, autismes) peuvent signifier leur choix. Ainsi, Henri après avoir, durant plusieurs années, montré une certaine indifférence, commence à désigner les icônes de ses activités préférées. De même, Régis, arrivé depuis quelques semaines à l’I.R., fuit dans un premier temps cet espace de groupe, sentant confusément l’engagement qui le sous-tend, puis petit à petit, attiré par la possibilité d’exprimer ses choix, commence à venir.
Ce choix peut d’ailleurs être surprenant. Ainsi, Fabien, 14 ans, achève sa dernière année dans l’institution et va régulièrement en intégration scolaire ou en stage découverte dans un poney club à l’extérieur. Et pourtant, son choix d’activité se porte encore de temps en temps sur « écolibri » (un espace protégé tourné vers les activités d’éveil) où il peut se ressourcer en y trouvant refuge.
C’est aussi la possibilité d’indiquer le choix d’être en relation avec un adulte, plus que d’une activité. Le transfert peut s’actualiser, se dire, être reconnu. Ainsi, certains enfants peuvent nommer plus volontiers le nom de l’adulte plutôt que celui de la médiation
A l’inverse, petit à petit, les activités préférées des enfants émergent et viennent dessiner leur projet individuel et lui donner consistance : Par exemple, Anatole, très réticent au travail scolaire durant ses premières années d’accueil au centre de Guénouvry, le choisit maintenant très régulièrement.
Evidemment, ce moment où on voit ce qu’on fait, c’est inévitablement se confronter à la frustration. Choisir, c’est perdre. Apprendre à renoncer, peut être vécu difficilement : cela s’exprime par des choix multiples ou bien par un choix qui ne peut se fixer sur une activité : l’enfant opère des changements incessants ou encore manifeste son refus de choisir.
Le choix est également à l’intersection de multiples paramètres tels que la taille des ateliers, les engagements, les projets individuels…
La taille limitée des ateliers (un atelier accueille un nombre donné d’enfants) engendre rivalité et frustration chez les enfants.
Face à cela, la discussion s’engage. Peuvent être pris en compte, différents éléments comme un passage récent dans cet atelier par tel ou tel enfant, ou bien encore des associations difficiles entre certains enfants. Dans ces circonstances, l’adulte est amené à trancher.
Les réactions sont souvent vives face à la frustration : injures, fuite au dehors, claquements de porte, en sont autant de signes.
Cependant, la négociation peut aussi s’engager : il est proposé de changer d’activité moyennant la possibilité d’inscrire en marge du tableau une priorité que l’enfant pourra faire jouer la fois suivante. Ainsi petit à petit, le choix peut s’articuler dans un rapport au temps et à la confiance dans la parole vraie (matérialisée par l’inscription en marge du tableau).
D’autres dimensions dépassant l’instant présent de choix peuvent lui donner sens. Par exemple, l’élaboration des projets individuels en lien avec l’enfant peut permettre de dégager des activités où sa demande l’engage, de façon régulière, qu’il s’agisse de la classe, de la cuisine ou bien « d’individuel » (entretien psychologique avec un adulte). Une certaine réciprocité s’engage entre l’institution et lui. Il lui est garanti une place, dans des lieux d’activité choisis dans la durée.
Quelquefois,
le comportement de l’enfant est si chaotique, si difficile, qu’il
ne peut s’inscrire dans un espace de négociation. « On
voit ce qu’on fait », ce moment si fragile ne peut fonctionner
de la même façon.
C’est le cas de Sylvain qui depuis quelques mois s’inscrit très
difficilement dans les activités. La moindre frustration est synonyme
de colère, injures, provocations…
Alors, nous lui retirons la possibilité de donner son choix. Çà
lui est trop difficile, et nous lui indiquons des ateliers, lieux sécurisants,
au nombre restreint, dans lesquels il est inscrit régulièrement.
Nous lui indiquons sa place, lui qui ne peut momentanément pas la dessiner
pour lui-même. Nous ne lui donnons pas la parole pour un temps, mais
nous cherchons à créer les conditions, le cadre, qui permettent
qu’il prenne cette parole. Depuis quelques semaines, son comportement
s’apaise, et nous recommençons à lui ouvrir progressivement
des moments, dans sa semaine, où il peut indiquer ses choix.
? De « on voit ce qu’on fait » à « on fait
ce qu’on dit » :
Ce moment de "on voit ce qu’on fait" nous semble quelquefois laborieux. Il est difficile de tenir cet espace de parole et d’écoute réciproque. Cependant, il nous apparaît essentiel de tenir ce cadre permettant d’inscrire au jour le jour une place pour chacun, une parole vraie qui engage. L’enfant, lorsqu’il est inscrit, est rappelé à son engagement. Il y est, souvent, fait référence à son inscription au tableau qui l’engage.
De
plus ce qui s’est discuté dans ce lieu, échangé,
négocié est autant d’étapes permettant une inscription
plus aisée (même si pas forcément sereine) dans l’atelier
choisi.
Il nous semble donc que ce type d’instance est nécessaire à
mettre en œuvre pour l’émergence d’une parole personnelle
qui pourra progressivement se substituer à l’acte.
2 - « la cour de re-création »
A son arrivée, ce petit garçon présente un important retard de développement : âgé de 6 ans, il en paraît trois. Son visage, sombre, est marqué par les nombreuses traces que peut laisser la vie sur-active et auto-destructive dans un monde sans limite. Sa permanente fuite en avant, est au service de l’évitement de toute relation, de tout contact avec les autres. Une seule phrase, agressive, lui échappe, lorsqu’il perçoit une tentative d’approche : « ta gueule connard » (phonétiquement : « ta gun conna »), à quoi il ajoute parfois : « casse toi pédé ! » il a un langage frustre et ne prononce pas de phrases articulées.
Rejeté des établissements auxquels il a rendu une simple visite, il manifeste, au cours de la première consultation, d’une grande violence, en acte : il ravage le bureau d’accueil, crache au visage des interlocuteurs et lance sa phrase, seul lien qui le fasse humain : ta gueule connard ! Son père est en « difficulté sociale », il est, alors, au chômage et vit dans la précarité. Il se dit débordé par les excès de son fils. Sa mère n’a quasiment jamais connu l’enfant. Il a été placé à la naissance.
L’équipe du centre, après les traditionnelles journées de visite, propose de l’accueillir à la rentrée, malgré les réticences du directeur (face à ce qu’il considérait comme un cas lourd).
L’enfant refuse, d’emblée, toute participation à la vie collective. Sa violence se manifestant principalement contre lui-même. Il s’enfuit, transgresse les limites et se met régulièrement en danger (au cours de la première année : il est mordu au visage par le chien du voisin, il avale des médicaments, il passe sous les chevaux et est hospitalisé en urgence, il se fracture le nez, etc…)... et fait passer à l’équipe des moments difficiles, pour tenir sa position : comment, en effet, contenir la violence, en permettant, toutefois, l’expression d’un sujet ?
L'enfant refuse toute vie collective, ne participe pas aux réunions et erre autour du bâtiment.
Une chose nous frappe dans son comportement : dès son entrée, il inspecte méthodiquement les hauts murs qui entourent la cour de l’école de campagne, s’y précipite dès que possible, comme pour expérimenter les bords de son nouvel espace. Il y cherche et y trouve le vivant (mille-pattes, araignées, doryphores) toutes sortes d’insectes. Mais il va jeter son dévolu sur une espèces particulière, dont quelqu’un lui donne la dénomination : « gendarmes » dont la consonance est proche de celle de son propre prénom. Il vole, alors, toutes les boites qu’il trouve dans la maison, pour y héberger ses gendarmes. Si ceux-ci s’échappent, il pique des colères, détruit la boite, écrase les gendarmes.
C’est aussi la période où il ouvre les enclos : libère la chèvre. Ouvre le poulailler et tente de tuer les poules. A cette occasion, excédé, un adulte se coletine à lui et le menace d’une fessée. Il l’entend sidéré, dire pour la première fois : « veux pas ».
Pourtant les adultes ne stigmatisent pas son comportement avec les gendarmes mis en boîte. Au contraire, un éducateur lui confectionne une boite en bois, avec une surface vitrée et une porte qui lui permettent d’y voir les habitants, mais aussi de les faire entrer et sortir de leur propre logement.
Au cours du jeu qui s’instaure avec cette habitation qui peut s’ouvrir et se fermer, le signifiant « gendarme » s’éclaire et se transforme à l’oreille des autres. Il devient son propre prénom, transformé. Un nom, son non s’inscrit dans cet espace accueillant et vivant, véritable « lieu où se constitue le je qui parle avec celui qui entend ».
Répété de façon jubilatoire, le signifiant se fait affirmation inaugurale : cette nomination, surgit comme par reconnaissance, mais elle est aussi corrélative de l’invention d’un lieu retrouvé, un lieu où l’on peut vivre.
On peut remarquer que dans ce processus (1), c’est le désir de reconnaissance qui domine. Ce qu’on a du mal à entendre parfois, aujourd’hui, c’est qu’il faut bien y croire, « marcher un peu » !…, accueillir le symptôme. Il nous faut à la fois l’accepter et le contenir, mais surtout y reconnaître le dire d’un sujet...
Le jeu se répète pendant des mois. L’enfant s’intègre petit à petit, dans les différents groupes d’activité du Centre. Il y est présent depuis maintenant un an et demi et participe désormais, à sa façon, au « Conseil des enfants »… du moins, vient t’il s’y asseoir, de temps en temps. Un événement émouvant, pour l’ensemble des témoins du groupe, s’y produit : s’adressant brusquement aux autres, dans un état d’intense jubilation, il lève la main, pour intervenir. Comme le président de séance, ne lui donne pas assez rapidement la parole, il explose en une sorte d’excitation répétitive : « je veux dire ma parole, je veux dire ma parole… » plongeant l’assemblée dans la sidération…
A travers cette histoire, il nous est apparu que l’invention du signifiant mêlant son prénom au signifiant « gendarme » apparaît dans la découverte d’un lieu devenu acceptable, une place lui a été permise qu'il s'est appropriée symboliquement, inaugurant pour l’enfant, une mise en place structurale : celle d’un lieu psychique sur lequel les substitutions signifiantes peuvent prendre sens en toute sécurité.
C’est avec cette conviction que nous travaillons avec les enfants psychotiques. Ils attendent de nous qu’on marche, qu’on accepte leur symptôme, qu’on accueille leur violence, comme volonté de vivre dans un lieu qui les reconnaisse.
Pour conclure voici une anecdote propre à nous faire marcher, même
si elle paraît incroyable :
Au cours de la récréation, deux adultes discutent, "l’enfant
aux gendarmes" s’approche d’eux, poussant un vélo,
avec beaucoup d’application. Interrompant la conversation, avec un large
sourire, le visage rayonnant, il prononce cette phrase, désormais parfaitement
articulée, en désignant du doigt un réservoir imaginaire
: « s’il vous plaît, est-ce que tu peux me mettre du sens
?… »
Nous allons voir maintenant comment un événement particulièrement violent, anxiogène et ravivant des souffrances intimes, est venu bousculer la vie quotidienne de l’institut de rééducation de Guénouvry, comment également cet événement est devenu l’affaire de tous, en renvoyant à une éthique de la responsabilité.
Revenons d’abord sur l’événement :
Ce mercredi matin-là, nous terminions, comme à l’accoutumée, le temps d’information sur ce qui concerne la vie du centre. Ce mercredi matin-là, il n’ y avait que peu d’ informations venant des enfants, mais beaucoup d‘excitation et de provocation. Il semblait alors aux adultes préférable d’écourter ce temps et de passer à l’organisation de la matinée. L’ensemble du groupe s’apprêtait à aller dans les diverses activités lorsque l’enfant responsable du ramassage et de la vente des œufs entre dans la pièce et dit : « une poule est morte dans la poulailler !».
Sans attendre, les réactions se font multiples et variées. Juliette montre sa tristesse et pleure ; il faut préciser que Juliette passe beaucoup de temps dans le poulailler à s’occuper des poules, qu’elle y reconstruit, avec le temps, une relation primaire en lambeaux. Deux autres enfants continuent de discuter comme si de rien n’était. Albertine demande si elle peut avoir un pansement à la main. Sullivan sort comme s’il n’avait rien entendu. Celui- ci chahute ... celui-là sourit ....
Devant une telle dispersion, voire une telle fuite, nous demandons aux enfants de se rasseoir pour tirer cette affaire au clair, car il s’agit là de quelque chose de grave qui vient de se passer dans la vie du centre. Nous ne pouvons pas faire comme les autres mercredis matin, nous ne pouvons pas aller travailler sur l’actualité du monde ( nous faisons effectivement une revue de presse et écrivons des articles pour le Journal de Guénouvry et le site du Centre) et éviter l’actualité qui nous interroge tous.
Rapidement deux enfants sont nommés et tenus responsables de la mort de la poule. Deux témoins de la scène racontent. Les faits se sont déroulés la veille ; les deux enfants étaient dans le poulailler et s’amusaient à attraper les poules. L’un des enfants parvient à en attraper une et la jette contre la cabane du poulailler, sous le regard de l’autre. Les deux enfants reconnaissent les faits, mais ne parviennent pas, dans l’instant, à en dire plus sinon : « elle s’est cogné la tête » ! Pendant cette élucidation, quelques enfants ne se privent pas de charger davantage les deux coupables, d’autres enfants paraissent indifférents. Juliette pleure de plus en plus et ajoute « c’est moi » ; la tension augmente dans le groupe.
Un « vent de folie » souffle sous la véranda.
Pour sortir l’ensemble du groupe de cette situation, les adultes décident que ce matin-là il n’y aurait pas les activités habituelles et que tous, enfants et adultes, doivent œuvrer dans le sens de la vie, dans le sens du soin aux animaux. Ce qui vient de se passer dans Guénouvry est de l’ordre de la responsabilité collective. La mort qui survient de cette manière par un acte violent, n’a pas sa place à Guénouvry ; la vie et le maintien de la vie au Centre concerne tout le monde.
Quatre
groupes sont rapidement constitués :
1 – le groupe qui s’occupera de l’enterrement de la poule
et du nettoyage du poulailler (en font partie les deux enfants à l’origine
des faits).
2 – le groupe qui s’occupera du soin de la chèvre et des
chevaux.
3 – le groupe qui s’occupera du désherbage du jardin (rendre
l’espace beau).
4 – le groupe qui s’occupera du compost (cycle : décomposition
des végétaux vers une fertilisation de la terre).
Cette matinée a permis d’être et d’agir, en rapport aux émotions, et avec les états d’âme de chacun ( colère, tristesse, culpabilité, surprise, indifférence, rires, souvenirs, souffrances...), a permis également de redire l’importance de la vie et du rapport à l’autre, d’aborder concrètement ce que Lévinas nommait la « responsabilité pour autrui ». Cette prise en main concrète de l’horreur par l’action, collectivement, marque la fin du premier volet.
Le lendemain, un second volet s’ouvre pour les deux enfants : celui de la sanction et de la réparation, d’un point de vue matériel et financier. Ce second volet est articulé à une instance institutionnelle du Centre de Guénouvry : le Conseil des Enfants.
Comment fonctionne l’instance « Conseil des Enfants » ?
Le Conseil des Enfants se réunit le mardi et le jeudi matin, de 9h30 à 10h00. Sur l’estrade, derrière la table, siègent le Président, le Secrétaire et le Trésorier. Les trois enfants sont élus par le groupe d’enfants. Cette élection se fait après chaque période de vacances scolaires. Le Président est assisté, dans sa tâche, par un adulte ; il en va de même pour le Secrétaire et le Trésorier.
Le Conseil des Enfants, pierre angulaire du travail au Centre de Guénouvry, existe depuis 1974. Au fil des années, la forme du Conseil s’est modifiée à plusieurs reprises. Il fonctionne quasiment aujourd’hui sur le modèle d’un club thérapeutique. Mais des invariants existent et traversent l’histoire du Centre. « Le Conseil est ouvert », « le Conseil est fermé » sont les deux formules prononcées par le Président qui balisent et donnent existence à une véritable instance institutionnelle, un véritable espace de construction.
L’enfant, dès son arrivée au Centre de Guénouvry, est en quelque sorte pris dans cette instance. Les autres enfants savent à leur manière, lui apprendre, lui rappeler que c’est aussi dans ce lieu que quelque chose peut surgir, peut se passer, peut se discuter. L’enfant saisit, progressivement, qu’il peut, par son expression, apporter des modifications, des améliorations dans l’existant.
Le Conseil est un élément non négligeable de la structure institutionnelle. L’enfant se trouve engagé dans un ensemble vivant, concret, ayant des lois, des coutumes, une armature symbolique. Jean Oury, dans son ouvrage « Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle » parle d’une « résonance existentielle dans l’individu d’un certain « historial » du groupe, le branchant spontanément dans le « ayant-été avenir ».
Par l’intermédiaire du Conseil, la demande n’est plus adressée à une personne, mais à un ensemble de personnes qui donnent leur avis, puis décident.
Au Conseil des Enfants, le Président donne la parole. Mais c’est une équipe qui crée les conditions pour que chaque sujet, tissé de langage, la prenne.
Le
Conseil des Enfants fonctionne avec un ordre du jour. Des points sont régulièrement
abordés comme :
• Les demandes ou sujets que les deux représentants des enfants
au Conseil de la Vie Sociale (instance consultative) auront à présenter,
à défendre.
• Les dépenses et les recettes de la caisse des enfants. Que
dépenser avec l’argent de la caisse des enfants ? Comment faire
de nouvelles rentrée d’argent dans la caisse ?
• Le bilan des responsabilités des enfants, c’est-à-dire
savoir si les enfants ayant une responsabilité l’ont bien effectué
et peuvent ainsi avoir leur rémunération. Il existe plusieurs
responsabilités ; citons pour exemple la responsabilité de la
tenue du bar et la responsabilité de la tenue de la caisse des enfants
etc...
Le Conseil des enfants est une instance qu’ils doivent s’approprier. C’est ce travail, sans cesse à remettre en jeu, que soutiennent les adultes.
Au conseil de ce jeudi matin.
Or, ce jeudi matin-là, inévitablement, à l’ordre du jour, est inscrit « la poule ». Malgré la violence des faits, le débat est serein : les enfants ne sont plus face à l’événement, la violence s’est transformée en parole. Deux décisions sont prises :
1ère décision : la poule avait été achetée avec l’argent de la caisse des enfants, suite à une décision lors d’un précédent conseil des enfants (avoir plus de poules pour avoir plus d’argent). Les deux enfants devront donc acheter une autre poule.
2ème décision : les deux enfants devront rembourser l’équivalent de la vente des œufs que la poule aurait pondus si elle avait été encore vivante, jusqu’à ce que la nouvelle poule soit achetée.. Le groupe d’enfants découvre ainsi le manque à gagner. Ce remboursement se fera par le ramassage hebdomadaire d’un sac de crottin de cheval, à vendre, par la suite, comme engrais.
A propos de ce travail je voudrais citer, Jean Oury
« La mort est coupure, accident ; jamais prévue, toujours en trop. Comment un ensemble institutionnel peut-il traiter « l’en-trop » ? ... Le respect des choses « précaires » : des gestes, des regards, des façons d’être, la marque des pas, le grincement d’une porte, des feuilles qui volent, la pluie, le soleil : l’inutile dans toute sa transcendance. C’est ça la « pulsion de mort », Todestrieb. Mort non forclose qui régit la vie, et la quotidienneté, et la grâce des visages. C’est à partir de là qu’un monde peut se reconstruire qui ne soit pas cimetière » (article « La Psychose, l’Institution, la Mort » dans l’ouvrage collectif « Matière et pulsion de mort »).
En conclusion, rappelons que la violence phénomène humain exige
d’être humanisée, d’être prise au filet du
symbolique, car elle survient à chaque fois que le sujet n’est
plus reconnu comme tel par le collectif. Le Centre de Guénouvry, par
sa structure, par l’intermédiaire d’instances institutionnelles
telles que « On voit ce qu’on fait » et le « Conseil
des enfants » propose une réponse avant l’acte et l’horreur,
qu’il révèle, réponse qui permet la symbolisation,
réponse à partir d’une place possible qui vient reconnaître
chacun dans sa parole. C’est la rencontre de l’autre, exposé
à la souffrance, exposé à la violence, qui engage alors
chacun dans sa responsabilité, comme « responsabilité
pour autrui ».
(1) Ce processus consiste à dire oui au non (nom) de l'Autre. Désir de reconnaissance qui fait référence à la "Bejahung" de Freud ( affirmation primaire).
Ce texte écrit par Jean-Edouard BATARDIERE, Gilles COURANT et Guy ROUSSEAU est l’expression d’un travail élaboré par l’ensemble de l’équipe du Centre de Guénouvry.
L'accueil du symptôme en I.R. : argumentaire de l'intervention