Réflexions


 

Quelques réflexions à propos de la rédaction
d’une nouvelle annexe I.T.E.S.

 

« L’Institut de Rééducation se doit d’être un cadre tout autant thérapeutique que pédagogique afin d’éviter que l’enfant ou l’adolescent ne s’enferme dans la filière inéluctable du handicap ».

Cette indication de la circulaire n° 89-17 du 30.10.1989, nous rappelle la fonction soignante des IR. En conserver le tranchant, pour les futurs ITES, nécessite quelques précautions dans la rédaction de la nouvelle annexe.

La notion, de trouble du comportement, critère principal d’orientation en institut de rééducation, a fait problème aux textes administratifs qui voudraient la préciser. Comme l’écrit le rapport de l’IGAS de 1999 : «… la difficulté de définir les troubles du comportement de façon précise et univoque au plan médical ou encore de faire coïncider la population susceptible de relever des instituts de rééducation avec une activité clinique bien identifiable, qui leur correspondrait d’emblée ».

Pourtant, loin d’être une faiblesse, cette « carence » est à la fois révélatrice d’une réelle difficulté et opportunité de soin pour les acteurs de terrain. C’est elle en effet, qui a représenté la force de soin des instituts de rééducation. La possibilité d’accueil, sans distinction, des troubles et de leur singularité, a ouvert les portes aux enfants en grande détresse psychique, psychotiques gravement perturbés, voire autistes. Dans nombre d’institutions, l’approche psychanalytique a permis d’interpréter le symptôme en terme de structure, dans le respect du sujet, comme une parole en échec, restituant à chacun sa propre place, quelles que soient les hypothèses sur l’origine du trouble.

C’est grâce à la référence à la structure (qui n’opère de distinction qu’entre les concepts de refoulement et de forclusion, par exemple, repérant l’entrée dans la communauté humaine ou son refus) que les différences s’assument et sont acceptées par tous et que l’enfant peut alors sortir de l’enfermement d’une relation stéréotypée.

Ainsi reconnus dans leur humanité d’êtres parlants, par le cadre d’accueil, les enfants peuvent renouer, entre eux et avec les adultes, des liens citoyens. L’enjeu, dès lors, est celui de la prise de position éthique des responsables et des rédacteurs de la nouvelle annexe, pour que se métabolisent les questions de ségrégation. A la condition d’entendre ce que disait Maud Mannoni : «  Au cœur de chacun de nous, il y a place pour le rejet de la folie, c’est-à-dire pour le rejet de notre propre refoulé ».

Le repérage institutionnel auquel nous convoque l’écriture d’une annexe définissant les ITES, ne peut faire l’économie de cette expérience et de cette pensée qui interroge, dans leur action, jusqu’aux maîtres d’œuvre de la réforme.

Or, nous sommes souvent confrontés, aujourd’hui, à une approche mécanique, rejetante de l’étrangeté, approche moderne qui, dans son ambition normalisante, contribue à stigmatiser les faibles en exaltant la force, oubliant que ceux-ci ont toujours quelque chose à nous faire entendre. En classant les symptômes («ou troubles du comportement ») selon les critères des catégories nosographiques, nous occultons leur fonction d’expression singulière. Car, quand ceux-ci ne sont pas figés par des catégories médicales ou sociologiques, ils peuvent faire signe dans l’univers d’un sujet parlant, et par conséquent, l’intégrer à sa communauté.

Définir les ITES en cernant une population ciblée, c’est oublier que le fondement de leur pratique repose sur le soin, comme réponse à la souffrance qu’indiquent les troubles.

Les Instituts de Rééducation (psychothérapiques) ont en majorité, mis en œuvre, depuis des années, les conditions d’écoute de la demande, à l’écart du monde imaginaire des besoins et de la réification de l’autre. Ce travail nécessite, toujours, la prise en compte :

Ce que Freud appelait « le travail de civilisation », c’est en IR qu’il a pu être le plus explicitement mis en œuvre. Il est impératif de le soutenir par la pertinence de projets évalués à l’aune de leur rigueur éthique, et non livrés aux dosages hasardeux d’un « équilibre entre logiques administratives et exigences de l’éthique ».

C’est la condition première de création des ITES, dégagée des enjeux politiques, que de les centrer sur le soin (au sens de prendre soin) apporté à l’accueil de la souffrance de jeunes en deshérence psychique. Le cadrage institutionnel doit donner la priorité au respect des personnes et donc de leurs symptômes, quels qu’ils soient, sans distinctions nosographiques, et , surtout, reconnus dans leur valeur humaine de tentative de résolution de problèmes relationnels. Le repérage de leurs droits se fonde de la désignation de la place de chacun (enfants – parents – institution – association – administration), et de ses limites (chacun pouvant parler de sa place et non à la place de l’autre).

Il implique la reconnaissance d’une singularité essentielle, mais fragilisante dans un contexte de normalisation. Or, c’est la « connaissance, la reconnaissance de la fragilité d’autrui, plus que son excellence, qui constitue le lien démocratique en tant qu’amitié de quiconque – du quelconque » (1).

Plutôt que de laisser le soin aux experts de morceler les questions humaines en unités statistiquement séparées, la rédaction d’une nouvelle annexe, devrait pouvoir formuler l’autorisation d’une diversité radicale (tant subjective qu’institutionnelle), garantissant, au plus intime de chacun, la possibilité d’une parole créatrice, en respectant le désir fondamental d’être reconnu dans son humanité.

Car elle ne peut faire l’impasse de ce qui fait lien, (ce que demandent les jeunes en difficulté) c’est-à-dire la re-co-naissance, non seulement comme point de verrouillage de l’altérité mais aussi comme point d’origine de la socialité.

 

G. ROUSSEAU

Guénouvry / Avril 2003

Haut de page