Lectures


L'homme sans gravité.

Jouir à tout prix.

Charles Melman, entretiens avec Jean-Pierre Lebrun,

Denoël, Collection Médiations, 2002.

Charles Melman est psychiatre et psychanalyste; il est éditorialiste de la revue Passages. Il a été directeur de l'enseignement de l'Ecole Freudienne de Paris, et responsable de la revue Scilicet. Après avoir fondé l'Association freudienne en 1982, il a lancé la revue Le Discours psychanalytique.Il est le fondateur de l'Association Lacanienne Internationale.Il a créé avec Claude Dumézil, Gérard Pommier et Moustafa Safouan la Fondation Européenne pour la Psychanalyse.Il a publié en 1986 Les nouvelles études sur l'hystérie et depuis Les structures lacaniennes des psychoses, Retour à Schreber, Les nouvelles études sur l'inconscient, La nature du symptôme, La névrose obsessionnelle.

Jean-Pierre Lebrun est psychiatre et psychanalyste, ancien Président de l'Association Freudienne Internationale. Il exerce à Namur en Belgique. Ces derniers ouvrages sont Un monde sans limite et Les désarrois nouveaux du sujet.

Rejet du "réel" au profit du "virtuel", banalisation de la violence, perte de légitimité des figures de l'autorité, montée des diverses toxicomanies, attitudes inédites face à la procréation comme face à la mort, nouvelles formes de libertinage, difficultés d'une jeunesse sans perspectives, multiplication spectaculaire des états dépressifs... la liste est longue des changements récents qui témoignent d'une évolution radicale des comportements des individus et de la vie en société, qui provoquent une véritable "crise des repères" suscitant le désarroi des humains, à commencer par ceux qui font profession d'éduquer, de soigner ou de gouverner leurs semblables.

Les deux auteurs s'interrogent sur les causes de cette évolution radicale. L'homme occidental de ce début de siècle apparait "sans boussole, sans lest, affranchi du refoulement, moins citoyen que consommateur, un "homme sans gravité", produit d'une société libérale aujourd'hui triomphante, qui semble n'avoir plus le choix : il est en quelque sorte sommé de jouir"

Charles Melman parle de "nouvelle économie psychique" pour caractériser cet état de "congruence entre une économie libérale débridée et une subjectivité qui se croit libérée de toute dette envers les générations précédentes". Le sujet actuel semble pouvoir faire l'économie de son passé. Il s'agit d'une mutation qui le fait passer d'une économie psychique organisée par le refoulement, donc de la névrose, à une économie organisée par l'exhibition de la jouissance et qui promeut la perversion, une perversion en forme de norme sociale.

Notre rapport au monde n'est plus marqué par le manque , mais par le surplus de présence, par l'accent mis sur la possession de l'objet. Pour les névrosés, tous les objets se détachent sur fond d'absence, mais les pervers, quant à eux se trouvent pris dans un mécanisme où ce qui organise la jouissance est la saisie de ce qui normalement échappe."La grande philosophie morale d'aujourd'hui est que chaque être humain devrait trouver de quoi le satisfaire pleinement". Les jouissances sont fabriquées, artificielles et font partie des produits de cette nouvelle économie psychique.

Charles Melman évoque aussi une "liquidation collective du transfert", en ce sens qu'il n'y a plus ni autorité ni savoir qui fasse référence pour tous. L'heure est au franchissement de toutes les limites, à l'image de l'exposition "Körperwelten" qui présentait une série de corps humains écorchés et mis en scène.

Les auteurs rappellent que Freud ne voyait aucune antinomie entre la psychologie individuelle et la psychologie sociale. C'est donc une actualisation de ce que Freud appelait le "Malaise dans la civilisation" qu'ils visent.

Quel rôle, quelle place la psychanalyse aura-t-elle dans cette mutation déjà à l'oeuvre?

En introduction de son ouvrage, Charles Melman cite Hölderlin : "Mais où croît le danger, là croît aussi ce qui sauve".

Gilles Courant / Avril 2003

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