Lectures


Jacques Lacan

Le Séminaire livre XVI (1968-1969)

D'un Autre à l'autre

Editions du Seuil, Champ Freudien, Paris, mars 2006

C’est en novembre 1968 que Jacques Lacan commence son séminaire « d’un Autre à l’autre ». A l’heure où l’intelligentsia renversant les idoles anciennes se tourne vers Mao Tse Toung et s’en remet tel quel, à la magie fascinante d’un Grand Timonier se découpant sur fond de soleil levant, il assène aux jeunes exaltés sa conception de la révolution : un tour de roue qui nous fait toujours revenir à la même place. Il prophétise que le savoir devenu immaîtrisable imposera désormais sa loi au pouvoir. Face aux dénégations idolâtres de la jeune génération en révolte, il affirme qu’il n’est d’autre révolution que la freudienne dont la spirale nous invite à interroger sans fin notre propre désir.

E. Roudinesco nous dit que : « Pour faire entendre ce message [….] il choisit de nouer ensemble deux concepts de son enseignement, d’un Autre à l’autre. Le premier écrit avec un A majuscule (ou grand A) désigne un lieu symbolique – le langage, l’inconscient ou encore Dieu – qui détermine le sujet dans sa relation au désir. Le second, transcrit avec un a minuscule ( ou petit a) désigne l’objet du désir en tant qu’il se dérobe ou entraîne le sujet vers une perte, au cas où celui-ci voudrait en jouir sans limite au prix de sa propre construction » (1)

Que ce soit à partir du concept de « plus de jouir » qu’il créé, en référence à celui de la « plus-value » de Marx, ou que ce soit à partir de l’inspiration des pensées de Pascal, il poursuit sa réflexion sur les rapports de la jouissance et de la parole pour repérer la puissance symbolique du langage.

La révolution freudienne qui incite à un corps à corps du désir avec l’incalculable est aujourd’hui, en butte aux tours de roues comportementales, instruments de torture du sujet. A toute époque la psychanalyse suscite la haine de ceux qu’insupporte l’immaîtrisable condition humaine. Ses bourreaux se manifestent encore !

N’était-ce pas, déjà, le motif voilé de l’exclusion de Lacan de l’école normale supérieure , rue d’Ulm, à la fin, précisément, de ce séminaire, « d’un Autre à l’autre », en juin 1969 ?

Mars 2006 / G. Rousseau

(1 Elisabeth Roudinesco : • Le Monde des livres du 24 février 2006 :
« Quand Lacan défendait la révolution freudienne contre les idoles de l’insurrection »