Réflexions



Institution et narration, « un lieu pour dire »
une éthique de la subjectivation

 

Texte de l'intervention faite par Jean-Edouard Batardière, Myriam Boucherie et Gilles Courant, à la journée d'étude de l' association Klinikê, le samedi 9 décembre 2006, sur le thème "Accueillir l'enfant psychotique en institution, une éthique de la subjectivation". (programme détaillé de la journée d'étude)

Préambule

Présentation

Une éthique de la subjectivation

I) Accueillir, ça se décide tous les matins !

Ambiance et vie quotidienne

II) Quelques éléments de la structure.

1) « On voit ce qu’on fait » ou l’inscription

2) Le Conseil des Enfants et les responsabilités

III) L’enfant avance, les parents cheminent.

Conclusion

 

Préambule


Nous allons pour commencer vous raconter une histoire trouvée dans un magazine, il y a déjà presque trois ans, et toujours d’ actualité :

Un jour, un président de société reçoit un billet pour une représentation de la « symphonie inachevée » de Schubert. Il passe l’invitation au responsable de l’étude des méthodes industrielles de sa société. Le lendemain matin, le président se voit remettre le rapport suivant :
1. Les quatre joueurs de hautbois demeurent inactifs pendant des périodes considérables. Il convient donc de réduire leur nombre et de répartir leur travail sur l’ensemble de la symphonie, de manière à réduire les pointes d’inactivités.
2. Les douze violons jouent tous des notes identiques. Cette duplication excessive ne semblant pas revêtir un caractère nécessaire, il serait bon de réduire de manière drastique l’effectif de cette section de l’orchestre.
3. L’orchestre consacre un effort considérable à la production de triples croches. Il semble que cela constitue un raffinement excessif et il est recommandé d’arrondir toutes les notes à la double croche la plus proche.
4. La répétition par les cors du passage déjà exécuté par les cordes ne présente aucune utilité véritable. Si tous les passages redondants de ce type étaient éliminés, il serait possible de réduire la durée du concert de deux heures à vingt minutes.

NB : il est évident que si Schubert avait prêté attention à ces remarques, il aurait été en mesure d’achever sa symphonie.

Cette petite histoire, comme un mot d’esprit, agit immédiatement. On sent très bien et on sait très bien que si l’on touche aux différentes tessitures du son, à l’orchestration, aux rythmes, à tous ces mille et un détails qui font l’œuvre .... au style donc, alors c’est l’ensemble qui perdra son âme, sa marque, sa référence. On sait, comme une évidence, qu’ après toutes ces modifications , ce ne sera plus pareil. On sourit un peu, et un peu seulement, car on sait également qu’en touchant à l’ œuvre d’ art, on touche aussi à l’artiste, et au bout du compte à ce qui fait l’humain.


Loin de cette logique bureaucratique et économique, en flux tendu (zéro stock), en qualité totale(zéro défaut) sans attendre (zéro délai) et dans un contexte aujourd’hui très favorable à l’individualisation massive, à l’indifférenciation, à l’ homogénéisation, au cloisonnement, à l’isolement ... nous allons jouer devant vous notre partition polyphonique, elle-même sûrement inachevée, qui est l’œuvre (dans le sens d’ouvrage, de travail) de toute une équipe parvenue à conserver l’ esprit du passé en travaillant un nouveau style, sorte de variation rurale et contemporaine sur un thème de Maud Mannoni ( non ségrégation, parole vraie).

 

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Présentation

Le Centre de Guénouvry est un Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique (ITEP), doublé d’un Centre d’Accueil Familial Spécialisé (CAFS). Il est implanté entre Nantes et Rennes, au « pays des trois rivières », dans l’ancienne école communale du village, vieille bâtisse républicaine à la façade fraîchement refaite avec sa cour de récréation, ses deux tilleuls semblant garder l’endroit. Nous y accueillons seize enfants psychotiques, autistes, ayant des troubles du comportement, ou souffrant de dysharmonies évolutives ... En journée, les enfants viennent à l’ITEP ; le soir, ils vont tous en famille d’accueil (16 assistantes familiales). Le W.E., ils rentrent chez leurs parents ou en Famille d’accueil A.S.E.


Au cours de cette intervention, nous vous proposerons :

- Dans un premier temps de définir ce qu’est la notion d’accueil, première étape pour qu’advienne le sujet et la façon dont nous le concevons auprès d’enfants en grande souffrance. En lien avec cet accueil, nous reviendrons sur le travail à propos de l’ambiance.


- Dans un deuxième temps, nous parlerons de quelques éléments de la structure institutionnelle : l’inscription, le conseil des enfants, les responsabilités : autant de lieux collectifs où l’enfant pourra prendre une place et où il lui sera possible de « dire sa parole » comme l’a proclamé il y a quelques temps un des enfants accueillis à Guénouvry.


- Dans un troisième temps, nous évoquerons au travers de l’histoire de l’arrivée de Emilie, comment un enfant peut faire sa place et comment, grâce à des lieux d’accueil diversifiés et différenciés, ses parents peuvent effectuer un cheminement.

Lors de cette intervention, nous nous centrerons donc plus sur l’articulation entre l’individuel et le collectif au sein de l’ITEP, la façon dont nous organisons l’institution en un « espace-entre- les- hommes », selon la formule d’Hannah Arendt, pour promouvoir la parole.

 

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Une éthique de la subjectivation


Les acceptions du concept de sujet sont multiples, complexes, parfois contradictoires : sujet de droit ou sujet de l’inconscient, sujet autonome ou sujet divisé ... Si la conception classique pose en premier lieu le sujet comme individu et considère ensuite ses actes, ses paroles, ses affirmations ou ses refus en les rattachant à ce postulat de principe, une autre conception, celle de la psychanalyse, procède d’un autre point de vue : elle découvre le sujet dans l’après-coup de ses manifestations, là où on ne l’attend pas, là où celui-là même qui parle ne savait pas qu’il était. Ce sujet là doit advenir.

Autrement dit, parce que le sujet n’est jamais plein, identifié, localisé, nous préférons, en deçà d’une éthique du sujet, parler d’une éthique de la subjectivation et ainsi travailler les conditions pour qu’un sujet advienne, considérant la subjectivation comme un processus des modes d’apparition du sujet, chez des enfants hors jeu de tout repère social.

La question du sujet est indissociable de la question de l’altérité. Le collectif devient « une manière d’être ensemble pour accueillir du singulier » (M. Balat).

Connaissance et reconnaissance de soi et d’autrui.

C’est donc la possibilité d’un « jeu », au sens mécanique de la mobilité , du disjointement, aussi bien au niveau individuel qu’au niveau social et collectif qu’il nous faut travailler. Mettre en jeu une dialectique entre soi et les autres, entre le style et le statut des différentes personnes.

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I) Accueillir, ça se décide tous les matins !


Depuis maintenant trois années, chaque matin de la semaine à l’arrivée des enfants au Centre de Guénouvry, nous nous retrouvons sous la véranda. Enfants et adultes sont assis en cercle pour ce temps d’information. C’est vraiment, pour nous, une manière de commencer la journée, réunis, pendant une demi-heure.

Cette mise en place de l’ accueil du matin, aujourd’hui véritable rituel, a fait suite à un constat :

A la descente du bus qui transportait les enfants de la famille d’accueil au centre, régulièrement se mettait à souffler un vent de folie, parfois très fort, sur la cour de l’école. Quelques enfants semblaient retrouver leurs symptômes, d’autres s’éparpillaient un peu partout, il y avait quelques pleurs, beaucoup de cris ... tout ceci faisait courir les adultes ... après qui ?.. après quoi ?.. Certains adultes disaient : « ils ont besoin d’une récréation », d’autres ajoutaient : « c’est incompréhensible ! dans le bus tout allait bien ». Bref, les histoires ne manquaient pas ...

Une question arrive : l ’enfant psychotique est, en quelque sorte, hors du temps et de l’espace. Il n’y a pas de distinction entre les choses en soi et l’objet. Alors comment aider l’enfant à modifier son rapport à autrui, avec ce qui se tisse dans cet espace, qui ne peut se mettre en forme, qui ne peut se mettre en mot, qui ne peut s’y représenter, avec ce qui se dévide du « non étant », d’un non lieu à un autre non lieu et qui cependant s’adresse à quelqu’un, si on l’entend.

L’équipe se trouve dans la position d’accueillir l’enfant avec ses signes, ses symptômes, ses traces de souffrance psychique.


Nous est apparu alors la nécessité de travailler le passage, la passerelle, entre la sphère individuelle et la sphère collective, entre la sphère de la famille d’accueil et celle de l’institution. Nécessité donc de trouver un chemin pour être ensemble, sans avoir tout à refaire à chaque fois.

C’est la figure géométrique du cercle qui s’est imposée (passage d’une sorte de cercle de famille au groupement de personnes réunies pour un but particulier), comme on dit le « cercle des poètes disparus »

Etre ensemble autour de gâteaux, mais aussi autour de choses à se dire.

Ce moment d’accueil du matin est toujours structuré de la même façon : un adulte anime ce cercle en donnant d’abord la parole aux adultes pour les informations concernant la vie de l’institution (visites / journées de contact / rendez-vous avec les parents / fait marquant ...). La parole est ensuite donnée au président du conseil des enfants qui rappelle les points et/ou décisions du précédent conseil, qui donne les perspectives pour la semaine (jour de distribution de l’argent de poche) ou pour le prochain conseil des enfants. Dans un troisième temps, chacun pourra prendre la parole, faire le lien entre la veille et aujourd’hui, dire, s’il le souhaite ce qu’il a vécu en famille d’accueil,.... raconter une tranche d’histoire aux autres. Les adultes pendant cette réunion, interviennent pour soutenir un enfant dans sa « fabrique du dire ».

Chacun a sa place, matérialisé par une chaise. Les plus anciens, ou ceux qui ont le plus l’habitude de ce fonctionnement, se doivent d’être là. Pour les plus nouveaux, c’est-à-dire ceux qui viennent d’arriver en septembre, un jeu reste possible.

C’est le cas d’Emile, 11 ans, qui vient d’arriver au mois de septembre. Lui, à la descente du bus, il aime bien déambuler dans la cour de l’école, avec son pas syncopé et son allure chaloupé, tapant dans ses mains pour ne pas perdre la cadence. Point essentiel : surtout ne pas courir après lui, sinon, il va encore aller plus loin, et encore plus vite ... il est même capable de sortir du centre. A ce petit jeu là, on est toujours perdant. Que faire ? Rester attentif, du coin de l’œil, sans trop aller vers lui. Attendre un peu ... puis aller sous la véranda car les informations vont commencer.

Emile, assez rapidement et de lui-même, est venu voir ce qui se passait sous cette véranda, d’abord en regardant au travers de la porte vitrée, puis en l’entrouvrant ... mais ne se risquant pas encore à prendre place dans le cercle. Progressivement il s’est installé dans la pièce à côté, jouant avec les duplo, entendant tout. Parfois nous parlions plus fort lorsqu’ une information le concernait directement, une façon de lui dire « nous savons que tu n’es pas loin ! »

Petit à petit, il a ramené sa caisse de duplo tout près du cercle, jouant proche des autres, bruyamment parfois, construisant des micros, des appareils photos. Se rapprochant un peu plus , il a commencé à prendre des photos ... et puis un jour avec son micro, en bon animateur d’émission de télévision, il a dit : « bonjour à tous !». En se saisissant de cet instant, et tout en poursuivant notre réunion, nous lui avons répondu « bonjour Emile ! ».

Pour Emile , il aura fallu trois mois, pour être assis à sa place, auprès des autres - je n’ose pas encore dire avec les autres - et pour que l’autre n’apparaisse plus dangereux ou intrusif.


Et là, nous entendons déjà les commentaires, de ceux qui connaissent la mesure, jusque dans la démesure, de ceux qui connaissent les « bonnes pratiques », jusqu’à les lister en référentiel :
« Trois mois pour faire asseoir un enfant sur une chaise ? mais qu’est-ce qu’ils font ? »
Heureusement, nous entendons aussi Jean Oury demandant : « les arpenteurs, ils savent aussi combien ça coûte un sourire de schizophrène ? ».

Certes, trois mois pour que l’enfant soit assis sur cette chaise, mais dans un mouvement qui vient de lui, sereinement, tranquillement, avec « assise », si j’ose dire.

L’accueil apparaît comme une position , une mise de fond nécessaire, une base de départ à retrouver, sorte de minimum à « maintenir » avant que l’enfant n’accède à quelque chose de plus complexe, de plus structuré ou structurant.

L’accueil doit prendre en compte une dialectique d’ ouverture et de fermeture, d’allées et venues, d’approche et d’éloignement. Laisser les enfants psychotiques et autistes aller et venir pour que, petit à petit, ils s’insèrent aussi dans le mouvement de mise en forme de leur espace-temps à ce niveau primordial où nous essayons de les rencontrer d’abord. L’espace de la rencontre primordiale (accueil) est cette zone que Pierre Delion a appelé « le portage », ou la fonction phorique, c’est-à-dire cet espace, physique et psychique, qu’on essaye de créer et qui possède une capacité de porter, de tenir, de contenir et dans lequel ce qui est « non-lieu » va pouvoir devenir événement, c’est-à-dire tout ce qui est nécessaire pour définir une scène sur laquelle l’enfant va pouvoir verbaliser.


L’accueil du matin agit pour la continuité de la mise en récit de ce qui se passe.


Tout événement de la vie quotidienne peut y être raconté (la venue du vétérinaire pour tel cheval, l’absence d’un adulte, d’ un enfant, tel changement, telle modification ...), entre les interlocuteurs de l’enfant d’abord, à l’enfant ensuite, qui « doit s’entendre narré avant de pouvoir à son tour devenir narrateur » (J. Hochmann).


Différenciés et articulés, les évènements de tous les jours peuvent être mis en histoire et constituer un faisceau d’histoires dans lequel l’enfant va être pris. Que l’on parle pour les personnes psychotiques d’une altération de la « fabrique du dire » comme Jean Oury ou d’une « crispation du récit intérieur » comme Jacques Hochmann ou encore, comme François Tosquelles d’ un « collapsus de la transcendance », au niveau du travail à effectuer, il s’agit de la même chose, c’est-à-dire restituer à l’enfant une capacité narrative. Dit autrement ... une capacité à symboliser.

« Mettre des mots sur... » dit-on au Centre de Guénouvry.

Encore faut-il que deux conditions soient remplies : d’une part, qu’il se passe quelque chose dans l’institution, d’autre part, que des lieux et des temps existent où ce quelque chose puisse être cadré, repéré, situé. Soulignons donc l’importance de l’aménagement de l’espace et du rythme qui rend possible cette parole.
Laissons là Emile poursuivre sa route et faisons un détour du côté de l’ambiance et de la vie quotidienne.

 

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Ambiance et vie quotidienne


Rappelons-nous ceci : déjà au début du XXe siècle, Hermann Simon, psychiatre allemand de l'hôpital de Wartein (asile de Gütersloh) insistait sur l'importance d'associer les malades à l'amélioration de leur cadre de vie, en affirmant qu'il fallait constamment traiter les trois maux dont ils étaient menacés et contre lesquels la thérapeutique devait lutter: "l'inaction, l'ambiance défavorable de l'hôpital et le préjugé d'irresponsabilité du malade lui-même", ambiance défavorable qu’il faut à la fois entendre ici comme l’absence de liens conjuguée à une détérioration du cadre de vie.

Cette ambiance, mot banal, Jean Oury parle quelque fois des « entours », est l’affaire de tous, enfants et adultes. On sait que les enfants psychotiques sont très sensibles justement à l’ambiance, presque en prise directe avec elle, et souvent sans beaucoup de possibilités de protection, si ce n’est un isolement ou une fuite. Alors peut-on travailler, transformer cette ambiance ?

Travailler l’ambiance c’est, en fait, s’occuper de la vie quotidienne, c’est souligner l’incontournable du quotidien qui nous convoque en permanence, ou dit autrement : c’est accorder de l’importance à la vie qui revient là, par le biais du quotidien.

Alors, peut-être qu’aujourd’hui, parler du quotidien semble futile , voire dépassé, en tous les cas, pour nous, ce qui se crée dans la vie quotidienne, a pour effet de favoriser des possibilités de rencontres (avec une personne, un animal, une chose, un événement). Dans cette dimension, ce qui est en question, est quelque chose de l’ordre du transfert, du transfert « dissocié ». Ce qui compte, en effet, pour un enfant psychotique, ce sont les multiples investissements partiels qu’il peut avoir, c’est-à-dire une ouverture, un accès à du « possible »

S’occuper de la vie quotidienne, c’est surtout tenter de faire de chaque instant partagé un événement (la préparation du repas en cuisine, remplir le réservoir d’eau pour les chevaux, cueillir les pommes avant qu’elles ne pourrissent). Cela suppose de la part d’une équipe de l’initiative, de l’inventivité, mais dans une dimension singulière, non pas sur commande, non pas à travers un « programme thérapeutique » évalué, mais quelque chose qui puisse être en prise sur ce qui se passe, en prise et en surprise.

C’est créer et recréer, d’une façon incessante, des lieux, des espaces, des sites, toujours menacés d’anéantissement. C’est aussi cela la « fabrique de l’ambiance ».

 

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II) Quelques éléments de la structure.

1) « On voit ce qu’on fait » ou l’inscription


On parle beaucoup de projet individuel dans nos institutions, cependant il existe de multiples façons de le mettre en œuvre. Certains essaient d’analyser les besoins des enfants en difficultés, de cerner des compétences à acquérir au travers de grilles plus ou moins élaborées, plus ou moins enfermantes : normal,… pour des grilles….
A guénouvry nous tentons de mettre en place des conditions « provocatrices », des endroits où la parole individuelle pourra être accueillie et reconnue par l’Autre, les autres, des lieux ou petit à petit chacun va pouvoir s’inscrire, écrire un petit bout d’histoire, un cheminement et peut-être un projet, son projet.
« On voit ce qu’on fait » : nous nommons ainsi un espace temps communautaire qui rythme les journées du Centre , lieu d’inscription –de bribes d’inscription- à partir de laquelle pourra se travailler un entre-deux, entre quelque chose de l’ordre du désir et la réalité.

- Qu’est ce que c’est :

« On voit ce qu’on fait » : c’est avant tout un rythme donné à une journée, espace collectif régulièrement ouvert deux fois par jour, ponctuation, repère de temps dans un espace fixe.

Au son de la cloche (eh oui, nous sommes dans une ancienne école publique !), en début de matinée ou d’après-midi, enfants et adultes se rassemblent dans la véranda autour d’un tableau où les propositions d’activité de la demi-journée sont notées sous forme d’icônes les représentant. Les noms des adultes référents de ces ateliers sont également consignés.

Chaque enfant, à tour de rôle, est invité à indiquer son choix parmi une palette d’activités, d’ateliers en petits ou en grands groupes Ceux ci sont centrés autour d’une participation à la réalité tels que la cuisine, le jardin, le soin aux animaux, ou bien encore ont une orientation plus pédagogique (la classe, écolibri…) ou enfin sont de l’ordre de l’expression autour d’une médiation : la musique, la peinture, les contes… Si vous êtes intéressés pour connaître plus de détails sur ces activités et l’esprit qui les anime, nous vous renvoyons au site de l’institution : centreguenouvry.free.fr. . Quoi qu’il en soit, il importe pour qu’un vrai choix puisse s’opérer qu’il y ait une variété de propositions possibles.
Le choix de chaque enfant est ensuite inscrit au tableau venant là signifier concrètement la place de chacun. Même celle d’enfants hors des murs de l’institution est marquée : par exemple en intégration scolaire, ou bien absents pour cause de maladie…S’inscrire c’est écrire son nom, s’affilier précise même le dictionnaire. D’une certaine manière à l’ITEP, c’est prendre place au sein du collectif, habiter non au sens d’occuper l’espace mais plutôt dans la dimension existentielle.
Les enfants sont d’ailleurs très sensibles à la marque de leur nom et nous reprennent fréquemment lorsque avec nos écritures d’adultes nous déformons une lettre, une syllabe : l’inscription doit être claire aux yeux de tous y compris et très rapidement pour les enfants ne possédant pas encore la lecture. Le lien entre l’inscription et la place de chacun est très vite réalisé et touche pour certains des dimensions fondamentales . Dernièrement, un enfant a littéralement éclaté en colère lorsque par mégarde,en écrivant au tableau, ma manche a effacé une partie de son prénom

- Qu’est ce qui s’y joue ?

C’est avant tout la reconnaissance de la parole de chacun. Chaque enfant là où il en est peut exprimer son désir. Même des enfants dits mutiques peuvent signifier leur choix. Ainsi, Henri après avoir, durant plusieurs années, montré une certaine indifférence commence à désigner les icônes de ses activités préférées. De même, Emile, arrivé depuis quelques semaines à l’ITEP, fuit dans un premier temps cet espace de groupe, sentant confusément l’engagement qui le sous-tend, puis petit à petit, attiré par la possibilité d’exprimer ses choix, commence à y venir.

Ce choix peut d’ailleurs être surprenant. Ainsi, Fabien. 14 ans, lorsqu’il achevait sa dernière année dans l’institution allait régulièrement en intégration scolaire ou en stage. Et pourtant, son choix d’activité se portait encore de temps en temps sur « écolibri » (un espace protégé tourné vers les activités d’éveil) où il pouvait se ressourcer en y trouvant refuge.

C’est aussi la possibilité d’indiquer le choix d’un adulte plus que d’une activité. L’investissement peut s’actualiser, se dire, être reconnu. Ainsi, certains enfants peuvent nommer plus volontiers le nom de l’adulte plutôt que celui de l’atelier proposé.

Petit à petit, les activités préférées des enfants émergent et viennent dessiner leur projet individuel et lui donner consistance : Par exemple, Anatole très réticent au travail scolaire durant ses premières années d’accueil au centre de Guénouvry, le choisit maintenant très régulièrement.

Evidemment, ce moment où on voit ce qu’on fait, c’est inévitablement se confronter à la frustration. Choisir, c’est perdre. Apprendre à renoncer peut être vécu difficilement : cela s’exprime par des choix multiples ou bien par un choix qui ne peut se fixer sur une activité : l’enfant opère des changements incessants ou encore manifeste son refus de choisir.

Le choix est également à l’intersection de multiples paramètres tels que la taille des ateliers, les engagements… Certains lieux comme l’activité cheval sont très demandés et ont une capacité d’accueil forcément limitée. Cela engendre rivalité et frustration chez les enfants.
Marie–Renée Legrand définit le collectif « comme « instance mediatrice des demandes », instaurant donc forcément du manque : des demandes et donc des échanges ».

Face à cela, la discussion s’engage. Peuvent être pris en compte, différents éléments comme un passage récent dans cet atelier par tel ou tel enfant, ou bien encore des associations difficiles entre certains enfants. Dans ces circonstances, l’adulte est amené à trancher.

Les réactions sont souvent vives face à la frustration : injures, fuite au dehors, claquements de porte en sont autant de signes.

Cependant, la négociation peut aussi s’engager : il est proposé de changer d’activité moyennant la possibilité d’inscrire en marge du tableau une priorité que l’enfant pourra faire jouer la fois suivante. Ainsi petit à petit, le choix peut s’articuler dans un rapport au temps et à la confiance dans la parole vraie (matérialisée par l’inscription en marge du tableau).

D’autres dimensions dépassant l’instant présent de choix peuvent lui donner sens. Par exemple, l’élaboration des projets individuels en lien avec l’enfant peut permettre de dégager des activités où sa demande l’engage de façon régulière qu’il s’agisse de la classe, de la cuisine... Une certaine réciprocité s’engage entre l’institution et lui. Il lui est garanti une place dans des lieux d’activité choisis dans la durée.

Quelquefois aussi, le comportement de l’enfant est si chaotique, si difficile, qu’il ne peut s’inscrire dans un espace de négociation. « On voit ce qu’on fait », ce moment si fragile ne peut fonctionner de la même façon.
Cela a été le cas de Sylvain qui pendant plusieurs mois s’est inscrit très difficilement dans les activités. La moindre frustration était synonyme de colère, injures, provocations…
Alors, nous lui avons retiré la possibilité de donner son choix ;cela lui etait trop difficile et nous lui avons préconisé des ateliers (lieux sécurisants) au nombre restreint dans lesquels il etait inscrit régulièrement. Nous lui indiquions sa place, lui qui ne pouvait momentanément pas la dessiner. Nous ne lui donnions pas la parole pour un temps, mais nous cherchions à créer les conditions, le cadre, permettant de prendre cette parole. Finalement, son comportement s’est apaisé, et nous avons ouvert progressivement des moments dans sa semaine où il a pu indiquer ses choix.


- De « on voit ce qu’on fait » à « on fait ce qu’on dit » :

Ce moment de "on voit ce qu’on fait" nous semble quelquefois laborieux. Il est difficile de tenir cet espace de parole et d’écoute réciproque. Cependant, ce cadre nous apparaît essentiel, permettant d’inscrire au jour le jour une place pour chacun, une parole qui engage. L’enfant lorsqu’il est inscrit est rappelé à son engagement. Il est souvent fait référence à son inscription au tableau qui l’engage.

De plus ce qui s’est discuté dans ce lieu, échangé, négocié, c’est autant d’étapes permettant une inscription plus aisée (même si pas forcément sereine) dans l’atelier choisi.
Il nous semble donc que ce type d’instance est nécessaire à mettre en œuvre pour l’émergence d’une parole personnelle .
« Le collectif a pour tâche de permettre la différence et de faire émerger la singularité du sujet ».
« On voit ce qu’on fait » nous apparaît donc essentiel pour que l’enfant puisse au fil du temps prendre sa place , « dire sa parole » comme le dit si bien un garçon de Guénouvry et habiter petit à petit, au travers de ses choix reconnus, un projet pour lui-même.

 

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2) Le Conseil des Enfants et les responsabilités


Deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, à 15h45, un enfant fait sonner la cloche de l’école. Enfants et adultes se dirigent vers la « salle des enfants ». Cette fois-ci les chaises sont disposées en demi-cercle, prêtes pour l’assemblée. Chacun se trouve une place dans le brouhaha. Sur l’estrade, un enfant assisté d’un adulte est assis à la table officielle. C’est le président. Dès que le calme est revenu, le président prend la parole : « le Conseil des enfants est ouvert ». La formule est lancée, la séance va durer une demi-heure.

A expliquer, c’est simple : ça ressemble à du déjà vu, du déjà entendu, à une animation de groupe presque ordinaire, en quelque sorte : l’un parle, les autres écoutent ... le président « donne la parole », selon la formule consacrée, avec une équipe qui crée les conditions pour que chaque sujet, tissé de langage, la prenne, et que la confusion se désorganise.

Dans la réalité, cela devient complexe et délicat. Comment témoigner de « ce qui s’y passe » ? Comment témoigner d’une clinique quotidienne collective ? Pourquoi, après plus de trente ans d’une pratique institutionnelle du Conseil , ne sommes-nous toujours pas parvenu à obtenir la composition de son alchimie ?

Nous devons toujours être vigilants à ce que le Conseil des enfants ne soit pas instrumentalisé par les adultes, ne devienne pas un « gadget » supplémentaire. Nous souhaitons qu’il soit une véritable instance sur l’échiquier institutionnel, un espace de construction, mis en place dans une perspective de désaliénation, au niveau social, de responsabilisation de chacun, au niveau thérapeutique, dans sa fonction d’accueil (avoir une place) et de « gestion » de l’ambiance.

Clara, enfant autiste, ne dit jamais rien au Conseil. Assise entre deux, elle est comme écrasée, un peu avachie, son visage est quasi inexpressif. Ses gestes de la main, stéréotypés, viennent, régulièrement, nous rappeler sa présence.

La tâche de l’adulte assistant le président est difficile : il doit faire en sorte d’abord que le conseil avance dans les points à traiter, dans les décisions à prendre, dans son rythme et sa tonalité, mais également que la présence et l’expression multiforme de chacun soit prise en compte : remarquer un détail, dégager l’attitude d’un enfant, réussir à entendre l’imperceptible, à le saisir, à l’interpréter et le transmettre aux autres, repérer, qu’à sa manière, l’enfant apparemment en déshérence, participe au groupe.

Clara donc, un jour, se met à fredonner une chanson au beau milieu d’un Conseil des enfants. Nous aurions d’abord eu envie de lui dire que ce n’est pas le moment, qu’elle peut dire les choses autrement, mais cette fois-ci, nous demandons aux enfants d’écouter, comme un appel, cette chanson de Clara. Nous ne savons pas où cela va conduire , mais c’est ça aussi le conseil. Nous tendons l’oreille et un adulte de l’assemblée finit par reconnaître la chanson de Julien Clerc « Fais moi une place »…

Se laisser surprendre, se saisir du moment, lâcher l’institué pour chercher la ligne de l’instituant, de l’événement, du mouvement d’un sujet en marche. Se décaler légèrement parce que les mots n’arrivent pas là où nous les attendons, ni quand nous les attendons…


L’enfant, dès son arrivée au Centre, est, si l’on peut dire, pris par l’ambiance de cette instance et son fonctionnement. Les autres enfants savent à leur manière lui apprendre, lui rappeler que c’est aussi dans ce lieu que quelque chose peut se jouer pour lui, peut surgir, se passer, se discuter. L’enfant saisit progressivement qu’il peut, par son expression, par son dire, agir sur cette ambiance. Il se trouve engagé dans un ensemble vivant, concret, avec son histoire, ses lois, ses coutumes, sa culture, confronté à une « armature symbolique ».

Sullivan est entré depuis peu au Centre. Il est présent physiquement à tous les conseils, parvient même maintenant à y rester du début à la fin, mais laisse encore trop souvent sa chaise vide, préférant se coucher par terre, recroquevillé. Il est là, certes, mais ne donne pas l’impression d’écouter, de suivre les échanges. Il ne semble pas intéressé. Nous acceptons cette position car nous savons que, s’il reste là, le temps joue pour lui. Un jour, le Conseil des enfants étant à peine commencé, Sullivan surprend tout le monde lorsqu’il se redresse brusquement et dit : « Arrêtez, arrêtez, il manque Cyrille ! ». Sullivan a raison. Nous l’invitons, alors, à aller chercher Cyrille, un autre enfant autiste, lui-même sans lien avec les autres, et attendons. Ils reviennent tous deux, Sullivan tenant la main de Cyrille, en parfait accompagnateur. Les deux enfants s’assoient, nous relevons l’importance de ce qui vient de se produire, de ce qu’a fait Sullivan dans l’accueil de Cyrille. Le fait est d’autant plus marquant que Sullivan, globalement, est dans une permanente fuite en avant, au service de l’évitement de toute relation, de tout contact. L’absence d’un enfant au Conseil lui était pourtant intolérable. Il nous rappelait simplement que le Conseil des enfants n’a de sens que si tous sont présents.

Pour qu’il ait encore plus de sens, le Conseil des enfants ne doit pas être une entité isolée ; il s’articule organiquement avec les autres instances, il est un des éléments de la réalité institutionnelle (réunion hebdomadaire d’équipe, informations du matin, Conseil de la Vie Sociale). En mettant en jeu la citoyenneté, le Conseil des enfants favorise le sentiment d’appartenance de chacun de ses membres, forge, place par place, le collectif et participe à ce que Jacques Hochmann appelle le « conservatoire collectif des histoires singulières ».


Malgré quelques moments de confusion, le Conseil des enfants nous donne l’illustration d’une instance symboligène. Il fonctionne avec un ordre du jour, préparé par le président et l’adulte-assistant en référence au registre du Conseil. Des points sont régulièrement abordés :


- les responsabilités : après chaque période de vacances scolaires, il s’agit de nommer des enfants comme responsables de certaines tâches de la vie quotidienne. Le bilan de ces responsabilités est régulièrement fait, pour savoir si elles ont été effectuées et si les enfants peuvent ainsi avoir leur rémunération. Plusieurs responsabilités existent (exemple : responsabilité de la tenue du bar, responsabilité de la caisse des enfants, responsabilité du ramassage et de la vente des œufs, responsabilité de la cloche, responsabilité de la décoration de la salle des enfants ...).
- les dépenses et les recettes de la caisse des enfants.. Deux questions se posent : que dépenser avec l’argent de la caisse ? (exemple : longs échanges sur l’achat d’un cd pour deux bus). Comment faire en sorte qu’il y ait de nouvelles rentrées d’argent dans la caisse ? (exemple : vente de châtaignes, de crottin de cheval).
- les demandes ou sujets que les deux représentants des enfants auront à présenter et à défendre au Conseil de la Vie Sociale. (exemple : augmentation d’argent de poche).

La construction ou la reconstruction, dans cet espace du Conseil des enfants, aide à l’élaboration psychique. Il s’agit de reconnaître et de garantir à chacun une place repérée, pour soi-même et vis-à-vis des autres, afin qu’advienne une parole qui prenne valeur, dans un ensemble consistant, dans un rapport d’altérité et de sociabilité, une parole qui signe sa place d’ « un parmi d’autre »(D. Vasse), dans un désir d’être et de faire ensemble.

 

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III) L’enfant avance, les parents cheminent .


On a vu dans les interventions précédentes comment nous concevions l’accueil de l’enfant et son inscription dans une dynamique institutionnelle, préalables nécessaires à une « naissance psychique » du sujet.

Cependant, il n’en reste pas moins que ce travail reste très lié à la place que prennent les parents face à l’inscription de leur enfant au centre de Guénouvry. D’emblée, lors de celle-ci, nous introduisons une distance par l’accueil de semaine (l’enfant participe en journée aux activités de l’ITEP et est accueilli chez une assistante familiale en soirée). Cet accueil de semaine qui va de pair avec la prise en charge psychothérapique de l’enfant, est souvent vécu douloureusement au début par les parents. La séparation induite est difficile d’autant plus qu’une certaine culpabilité de laisser son enfant à une famille d’accueil, s’ajoute à cela.

Pour que cette distance géographique puisse prendre un sens, c’est à dire : permettre à l’enfant l’appropriation d’un espace personnel afin qu’il trouve sa propre place et, dans la mesure du possible, qu’il soit partie prenante de sa destinée, il faut permettre un travail d’élaboration différente du lien parents/enfant.

C’est pourquoi, là aussi, il apparaît important de mettre en œuvre les conditions nécessaires à un accueil de ces parents. Au centre de Guénouvry, ceux-ci participent à des points réguliers autour du projet individuel de leur enfant et également à des réunions de parents. De plus, ils peuvent prendre part à des entretiens, dispositif leur permettant de trouver un espace propre pour exprimer, à la demande, leurs questions, leurs inquiétudes, voire leurs angoisses et s’en distancier. Ces entretiens réguliers représentent l’espace personnel des parents. Ils ont donc une fonction importante dans le processus de soin institutionnel et dans le cadre de l’évolution de la situation de l’enfant.

Recevoir les parents… Les accueillir, les écouter, essayer de créer une ambiance favorable pour qu’au fil du temps, ils puissent dire leurs critiques et leurs regrets, parce que « ça ne va pas assez vite » ou « c’est pire qu’avant », mais, surtout, s’ils le souhaitent, déposer leur histoire, leur souffrance, leur culpabilité d’avoir un enfant en grande difficulté psychique …

L’histoire de Emilie, arrivée au centre de Guénouvry en 2005 illustre ce cheminement, cette partition (pour reprendre l’image musicale du début) jouée à trois : l’enfant, ses parents et les intervenants de l’institution.
On y voit que si le cadre posé est nécessaire, la place et les initiatives de l’enfant y sont prépondérantes. La position des parents peut alors varier, se moduler.
Emilie a 9 ans. Elle est la deuxième enfant d’une fratrie de 5. Sa mère a constaté très rapidement l’étrangeté de son mutisme. Elle semble fermée au monde. La moindre sollicitation de l’extérieur est vécue comme une agression et déclenche chez elle des hurlements. Dès l’âge de 18 mois, un diagnostique d’autisme a été posé. Une prise en charge en hôpital de jour s’effectue, mais il y a peu de changement chez Emilie se plaignent les parents. Selon les dires de la maman : le rythme des rendez-vous n’est pas assez soutenu.
Une tentative de scolarisation s’avère peut concluante, Emilie ne s’intéresse apparemment à pas grand chose dans la classe. Elle y reste en retrait. L’énurésie persistante est le prétexte d’un arrêt de l’inscription à l’école.
A la maison, Emilie, à part regarder la télé sans arrêt, n’a que peu de centres d’intérêts.
La vie familiale devient de plus en plus difficile. Le papa quitte brusquement le domicilel. Même si elle ne s’exprime que très peu, Emilie peut manifester une grande sensibilité : elle refuse de se lever et de quitter son lit toute la journée du lendemain à l’annonce de cette nouvelle.
La situation financière devient alors très difficile. Madame P. a perdu son emploi. Elle n’a pas non plus de moyens de locomotion. La vie familiale se recroqueville autour des difficultés suscitées par Emilie : cris, colères et pleurs ou bien mutisme sont le quotidien des relations avec elle.
Cependant, un changement s’opère en 2003. Madame P. a un nouveau compagnon. Il est très attentif à Emilie. Celle-ci l’accepte d’ailleurs d’emblée dans le cercle familial. De plus, après une longue absence, Mr P. renoue des visites régulières à sa famille.
Cependant, Emilie , toujours enfermée dans son retrait autistique manifeste peu de progrès visibles. Sous la pression des services sociaux qui s’inquiètent de son évolution, elle vient faire un premier contact en 2004 au centre de Guénouvry, mais Madame P. dit ne pas être prête à se séparer de sa fille. Elle est réticente à l’accueil le soir en semaine chez une assistante familiale parallèlement à l’inscription à l’ITEP. Cette distance géographique posée d’emblée comme nécessaire, même si Emilie n’habite qu’à une quinzaine de kms du Centre, interroge et suscite des craintes chez cette maman mais la fait aussi cheminer comme nous allons le voir par la suite.
Quoi qu’il en soit, Emilie n’est pas inscrite cette année là dans l’établissement, priorité étant donnée par la CDES à d’autres enfants dans des situations encore plus urgentes. L’année suivante en juin 2005 (Emilie a 8 ans), un nouveau contact s’effectue au centre de Guénouvry. La maman n’est toujours pas favorable à l’accueil de semaine, mais accepte malgré tout l’inscription de son enfant.
Elle dit à sa fille : « mais tu sais, Emilie, il faut être propre pour aller à Guénouvry ».
Selon notre habitude, le « transfert » (séjour de vacances) est l’occasion d’accueillir les enfants entrants au mois de juillet avant la rentrée de septembre. Emilie y est rapidement à l’aise et parvient à nouer des contacts avec enfants et adultes.
Le premier soir, revenant chez elle après 10 jours d’absence, elle met ostensiblement sa couche à la poubelle au grand étonnement de sa mère. Elle a d’elle-même décidé de ne plus jamais porter de couches . L’énurésie est terminée définitivement à partir de cet instant. Ce geste vient affirmer un changement.
La rentrée scolaire arrive, très attendue par Emilie (elle est prête bien avant que le taxi ne soit là).
La mère d’ Emilie, si anxieuse de se séparer est très étonnée devant les évolutions que manifeste celle-ci depuis son arrivée dans le centre. Elle parle beaucoup plus, nomme pour la première fois sa mère « maman » et peut progressivement dire les prénoms de ses frères et sœurs. Elle peut même commencer à faire des phrases et parler de ce qui l’entoure : elle dit par exemple, regardant la TV, « maman regarde judo ». Et c’est du judo !
Simultanément, la maison qui vivait close et repliée sur elle-même s’ouvre un peu. Emilie, qui auparavant s’enfuyait dès qu’elle le pouvait, commence à entendre les limites et reste dans l’espace jardin-maison. Il n’est plus besoin de verrouiller les portes à clef et les volets peuvent rester ouverts…
L’accueil de semaine souligne d’entrée de jeu l’importance d’un espace personnel pour que chacun prenne une place, sa place, qu’il s’agisse de l’enfant ou bien des autres membres de la famille.
D’ailleurs, des changements s’opèrent au niveau de ces derniers également : les résultats scolaires de l’aîné deviennent, d’un coup, bien meilleurs. De son côté, un des petits frères d’Emilie, qui se tenait toujours à distance de sa sœur, ose maintenant dire « je n’aime pas Emilie ».
Parallèlement à cela, cette dernière trace son chemin en famille d’accueil et au centre. Elle participe aux différentes activités et peut commencer à les choisir en les nommant. Elle chantonne et parle de plus en plus. Elle s’affirme également en prononçant des non retentissants, des cris face à nos exigences telles que faire la vaisselle, mais , petit à petit, elle y participe de plus en plus.
Ses mots et ses phrases restent quelque peu stéréotypés (on les dirait extraits des dessins animés qu’elle affectionne) mais ils manifestent malgré tout de plus en plus ses sentiments. Ainsi, à la rentrée de septembre, elle est parmi les premiers arrivés. Après un bonjour un peu figé aux adultes présents, quand les enfants des autres taxis franchissent le portail de l’école, elle crie : « ils arrivent, ils arrivent » et se jette dans leurs bras : grand moment d’émotion ! Cet élan est d’ailleurs contagieux . Ainsi, Charles a toujours beaucoup de difficultés après de longs moments de séparation et le manifeste agressivement. Toutefois , lorsque Emilie l’embrasse , surpris, il accepte avec sourire son bonjour et dans la foulée , tend sa joue lorsque nous lui proposons une bise.

Cependant, même si les progrès d’Emilie sont manifestes et induisent un regain de confiance de la part de la maman et de son compagnon, il est nécessaire de renforcer encore les liens et d’être à l’écoute de leurs questions. Le moindre fait peut bouleverser cette confiance qui s’installe progressivement : par exemple, d’autres enfants font hurler Emilie dans le taxi en reprenant ses stéréotypies, elle arrive chez elle en larmes. Il faut réagir de suite, réassurer la maman et reprendre cela avec les enfants du centre.
Quoiqu’il en soit, lors de la réunion de début d’année avec l’ensemble des parents, réunion d’information sur des points institutionnels et d’échange avec eux, la mère d’un autre enfant entré à l’ITEP de Guénouvry en septembre dit son inquiétude de savoir celui-ci parti pour la semaine (cinq jours sans le voir). La mère d’Emilie prend alors la parole, témoignant de ce qu’elle a vécu. Elle peut ainsi dire sereinement à tous que pour elle, il y a tout juste un an, il en a été de même, qu’elle a eu beaucoup de difficultés chaque lundi matin à se séparer de sa fille. Elle pleurait même lorsque le taxi était parti. Avec des mots réconfortants, elle peut dire à cette jeune mère de ne pas avoir peur, de faire confiance. Son anxiété, dit elle, a disparu progressivement au bout de quelques temps en constatant les changements chez sa fille. Elle ajoute, avec un sourire qu’elle sait que sa fille est bien au centre. Elle n’est plus inquiète.
Ce fait est le signe d’un changement, une première étape importante effectuée de la part de cette maman. On le voit, si Emilie commence à faire son chemin au centre de Guénouvry, sa famille a également effectué tout un parcours, condition également indispensable à l’ébauche d’un réel processus d’individuation pour Emilie qui, bien sûr, le perçoit.
Il est pour cela nécessaire de garantir des lieux d’accueil selon des registres différents pour les parents : lieux collectifs tels les réunions de parents, mais aussi points réguliers sur l’évolution globale de l’enfant, et enfin lieux où ils seront écoutés dans leur souffrance, leurs questions liées à leur enfant, travail nécessaire permettant la mise en pensée et son expression. Ce sont là les conditions indispensables pour que la petite musique de l’enfant puisse continuer à se faire entendre.

 

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Conclusion

Tosquelles rappelait souvent que les institutions ne sont que des créations plus ou moins fragiles qui surgissent de la rencontre plus ou moins réussie entre un patient et une équipe qui l’accueille.

Cette rencontre de l’autre dans son opacité irréductible exige l’évidence de l’autre, si radicalement autre, si radicalement étranger. Il n’y a pas de travail psychothérapique possible sans accueil de ce qui spécifie l’humain.

Il nous faut insister sur l’importance du lieu, avec son esthétique, dans ce village là, dans cette nature là, lieu marqué d’une histoire, lieu d’enracinement, mais aussi lieu d’une transmission possible, «un lieu pour dire ».

En refusant un activisme de façade et en faisant attention de ne pas sombrer dans l’évitement bureaucratique et mortifère, nous entendons bien poursuivre cette clinique institutionnelle et suivre le poète dans ce « dur désir de durer ».


Nous terminerons avec cette phrase de François Tosquelles :

« L’homme souffrant ira toujours à la recherche d’un lieu où il puisse parler, voire dissimuler sa souffrance psychique. Et ces lieux seront toujours – hors de soi et à l’intérieur de soi – des lieux institutionnalisés, c’est-à-dire des lieux, plus ou moins rituels, de rencontre et de parole, entretenus avec les autres »


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