Une éthique de la subjectivation


(Extrait du projet d'établissement du Centre de Guénouvry - 2006)

 

Les acceptions du concept de sujet sont multiples, complexes, parfois contradictoires : sujet de droit ou sujet de l’inconscient, sujet autonome ou sujet divisé... Si la conception classique pose en premier lieu le sujet comme individu et considère ensuite ses actes, ses paroles, ses affirmations ou ses refus en les rattachant à ce postulat de principe, une autre conception - celle de la psychanalyse - procède d’un point de vue inverse : elle découvre le sujet dans l’après-coup de ses manifestations, là où on ne l’attend pas, là où celui-là même qui parle ne savait pas qu’il était. Ce sujet là doit advenir.


Autrement dit, parce que le sujet n’est jamais plein, identifié, localisé, l’équipe préfère, en deçà d’une éthique du sujet, parler d’une éthique de la subjectivation et ainsi travailler les conditions pour qu’un sujet advienne, considérant la subjectivation comme un processus des modes d’apparition du sujet, chez des enfants hors jeu de tout repère social.


L’institution, conçue au sens large comme un sentiment d’appartenance commune, par un travail de différenciation et d’articulation du psychique et du social, de l’individuel et du collectif, devient un lieu où des évènements surgissent et « se symbolisent » dans une élaboration narrative constante, « un lieu pour dire ». Mis en histoire puis raconté dans différents endroits où chacun n’existe que par rapport aux autres et où chaque personne est tenue, par sa fonction et sa position dans l’ensemble, de garder présente à l’esprit l’existence des autres, l’enfant peut, progressivement, s’approprier un récit institutionnel qui lui servira à l’élaboration d’un récit sur lui-même.


La question du sujet est indissociable de la question de l’altérité. Le collectif devient « une manière d’être ensemble pour accueillir du singulier » (Michel Balat).


François Tosquelles précisait : « la fonction symbolique s’établit (...) au niveau du partage des signifiants et des rencontres avec d’autres, porteurs de l’autre partie, par où quelqu’un trouve ou retrouve sa place. C’est la fonction des mots de passe ou des tessères antiques partagées en gage de reconnaissance ».


L’individu peut ainsi se détacher de l’immédiateté de l’expérience et reconnaître à autrui des désirs, des croyances, des émotions et parvenir ultérieurement à distendre le lien initial entre un mot et une chose, accéder ainsi à la polysémie et à la métaphore.


Faire place à une éthique de la subjectivation, c’est admettre qu’une part essentielle du savoir échappe à l’objectivation et appartient aux logiques subjectives de la construction psychique et de la transformation de soi (de l’enfant) dans son rapport aux autres. Connaissance et reconnaissance de soi et d’autrui. L’éthique de la subjectivation, c’est la possibilité d’un « jeu », au sens mécanique de la mobilité, du disjointement, au niveau individuel, avec le déploiement, la construction ou le dévoilement d’un soi, au niveau social/collectif, avec un positionnement différentiel des sujets.


Le Centre de Guénouvry a la préoccupation constante de donner à chacun sa propre place dans un ensemble, de mettre en jeu une dialectique entre chacun et l’ensemble de la collectivité, entre le style et le statut des différentes personnes, d’organiser l’ « espace-entre-les-hommes » (Hannah Arendt), de favoriser les possibilités de rencontres.


L’éthique de la subjectivation n’est pas seulement une manière d’être ensemble, c’est aussi un séjour, un espace où nous avons lieu, un temps où nous sommes présents avec les choses, avec les autres, avec les mots, avec nous-mêmes ... préparant la place et le chemin d’expression du désir.

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