De l'enseignement scolaire au Centre de Guénouvry ...

Denis Lecointre / juin 2007


Je suis instituteur depuis 5 ans dans la classe de l'ITEP de Guénouvry qui se réfère à la psychothérapie institutionnelle. Mon travail dans cet établissement m'a amené à quelques réflexions sur l'apprentissage et l'enseignement.

Enseigner n'est pas seulement un ensemble de techniques. L'enseignant n'est ni un magnétoscope, ni une machine qui distribue des connaissances, ni un juge. Il est là pour chercher, pour apprendre, réapprendre et aussi parfois pour désapprendre. Il doit savoir écouter, attendre et parfois se laisser surprendre par des savoirs inattendus.

Si enseigner suppose des capacités de réflexion et d'observation, l'important reste le désir d'apprendre, de comprendre, de chercher, de reconsidérer sans cesse sa pratique et la conviction que l'on peut toujours aller plus loin.

Apprendre, une rencontre

Toute situation d’apprentissage se caractérise par la rencontre, en un lieu institutionnel (l'école, la classe ...), autour d'un objet de savoir et/ou de savoir-faire à travailler ensemble, d'une personne censée posséder cet objet (l’enseignant/l’éducateur qui fait parti de ce lieu institutionnel) et d'une personne censée venir l'acquérir (l’élève/l’enfant) désirant venir dans ce lieu et qui s’y retrouve avec d'autres, différents de lui mais qui viennent aussi " apprendre ". Apprendre, en classe se fait nécessairement en groupe. L'apprentissage se fait parfois grâce au groupe comme pour cet élève autiste mutique capable de participer à une leçon donnée au groupe, de sa place, sans utiliser la parole mais par une attitude "d'élève attentif", avec le groupe, au cours d'échanges ou à coté du groupe. Emile vient en classe sur une activité de jeu pendant que les autres travaillent. Un jour, il prend un livre et vient s'asseoir à une table comme le reste du groupe qu'il a observé.

C'est donc une rencontre entre les élèves (leurs demandes, leurs besoins, leur histoire, leurs expériences, leurs savoirs) et l'enseignant (ses exigences, ses objectifs...). Pour qu'il y ait cette rencontre, il s'agira d'accepter de se défaire de ses jugements de valeur sur les enfants, leurs "pathologies" et établir des relations basées sur l'échange. Chacun a ses richesses, ses savoirs, ses savoir-faire, sa singularité. L'apprentissage se doit de valoriser ceux-ci dans une relation d'échanges, de respect et de participation. Les différents rituels de la classe, le conseil des élèves, les repères mis en place par l'enseignant pour les apprentissages et la vie de la classe sécuriseront les enfants et permettront les échanges et le respect de chacun.

Aider à apprendre, écouter pour pouvoir communiquer

L'écoute doit être une écoute active. Il faut savoir "lire entre les lignes" c'est-à-dire vérifier si ce qui a été dit à été perçu correctement par l'élève et si ce que l'enseignant a perçu correspond à ce qu'a voulu exprimer l'élève. Il faut savoir modifier en permanence le type de communication en lien avec les besoins que l'on a perçu de chacun.

Être à l'écoute de l'élève c'est également permettre qu'il assume le contrôle de son apprentissage.

Une rencontre de projets

Il n'y a pas de "transmission" si un projet d'enseignement ne rencontre pas un projet d'apprentissage. Il doit se tisser un lien, même fragile, entre un sujet qui peut apprendre et un sujet qui veut enseigner. C'est pourquoi enseigner requiert une double recherche, du côté des sujets, d'une part, de leurs acquis, leurs capacités, leurs ressources, leurs intérêts, leurs désirs, et du côté des savoirs d'autre part dans lesquels il faut découvrir de nouvelles richesses, de nouveaux modes de présentation. Cette recherche est la condition même de l'enseignement dans la mesure où elle permet la rencontre des projets qui ouvre à l'apprentissage. Cette rencontre pourra donner lieu à une construction progressive. Il ne faut pas, cependant, vouloir une concordance exacte entre les désirs, les capacités et les intérêts de l'élève et les projets, les exigences et les contenus du maître.

Maîtriser le savoir à enseigner ne signifie pas maîtriser le chemin pour y parvenir, au contraire, il faut se laisser surprendre par le chemin emprunté par les élèves pour acquérir une notion. Claude, par exemple, se mit en tête de réaliser seul une multiplication compliquée alors qu'il possédait tout juste l'addition. A ma grande surprise, il y arriva assez rapidement sans que je comprenne comment il s'y était pris. Plus tard il réussit à m'expliquer son raisonnement et je pus m'en inspirer pour poursuivre l'apprentissage de la multiplication. Il aurait sans doute été difficile d'aborder si tôt cette notion si j'avais voulu l'expliquer d'une manière plus habituelle.

L'apprentissage est le résultat d'une adaptation nouvelle de ce que l'on savait à ce que l'on découvre. Apprendre c'est créer des liens entre ce qui est ancien, ce qu'on connaît et ce qui est nouveau. Si l'on considère l'apprentissage de la lecture, certains enfants , dès qu'ils commencent leur apprentissage, utilisent les écrits de leur environnement pour valider ce qu'ils apprennent, d'autres au contraire, apprennent à lire à l'école sans le relier aux écrits qu'ils rencontrent, puis, brusquement, ils mettent du sens dans les écrits de leur environnement et font alors comme Amédée qui s'est mis un jour à lire avec émerveillement et une certaine fierté tous les écrits qu'il était capable de déchiffrer. Il y a aussi des enfants comme Claude qui appréhendent de relier "leur vie de tous les jours" à leurs apprentissages et qui s'en défendent jusqu'au moment où ils arrivent à reconnaître qu'ils savent parce que c'est devenu une évidence pour eux et pour leur entourage qu'il n'y a plus de "danger" à le reconnaître.

Le respect d'une "intimité"

Les enfants apprennent en classe et en dehors de la classe. Découvrir ce que l'enfant sait pour construire un projet d'apprentissage est une étape qui semble indispensable, comme il semble naturel de s'assurer que l'enfant a bien acquis une notion avant d'entamer l'étude de la suivante. Pour certains enfants, psychotiques et autistes notamment cela peut être une démarche extrêmement angoissante pour eux et peut être vécue comme une intrusion insupportable. Il faut alors arriver à ne prendre en compte que ce qu'ils arrivent à révéler et d'accepter de ne pas savoir ce qu'ils ont acquis et de travailler un peu en "aveugle" avec eux. Il est parfois difficile d'accepter que les enfants ne révèlent pas ce qu'ils savent ou ne le fassent que dans certains lieux, avec certaines personnes, parfois dans la classe seulement, parfois hors de la classe, parfois nul part. Ne pas respecter cette "intimité" peut provoquer chez l'enfant psychotique un réflexe de repli sur lui même et l'empêcher de bénéficier de ce qu'il pourrait acquérir en classe, à son niveau et avec ses capacités.

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