Collages


En 1929, Max Ernst fait son premier « roman-collage » au sein du mouvement surréaliste ; il le nomme La femme 100 têtes. Quelques décennies plus tard, un enfant fait ses premiers collages au Centre de Guénouvry ; il nomme l’un d’entre eux L’arbre à têtes.

De l’une comme de l’autre de ces œuvres se dégage quelque chose qui mobilise l’imagination et la sensibilité du sujet : de celui qui crée et de celui qui regarde. Ce quelque chose peut se nommer l’insolite, le bizarre, l'étrange, le monstrueux, le saugrenu…Les sources de cet insolite, de ces créations, ne sauraient être ailleurs que dans le sujet désirant et inquiet. L’insolite apparaît comme message que le sujet adresse à lui-même et aux autres.


Un peu d’amour
Papier velours
Et d’esthétique
Papier musique
C’est du chagrin
Papier dessin
Avant longtemps

Laissez glisser
Papier glacé
Les sentiments
Papier collant
Ca impressionne
Papier carbone
Mais c’est du vent

(Les petits papiers, Serge Gainsbourg, 1965,
interprété par Régine)


Max Ernst, La femme 100 têtes, 1929

 

Le terme de collages est difficile à cerner. Il apparaît indéfini et pluriel. Il renvoie au pictural, au musical, au verbal, au cinématographique, au collage d’objets. Avec lui, on est dans l’ordre de la poïétique, de la rhétorique, de l’esthétique, de l’historique. On parle de collages tantôt comme d’une activité artistique précise tantôt comme d’une métaphore approximative. On peut même arriver parfois à une généralisation extrême du « tout est collage ». La seule définition possible du terme collages n’est-elle pas elle-même qu’un collage ?

Art populaire mineur, art appliqué ou expression artistique, le collage remonte loin dans l’histoire puisque les premières traces parvenues jusqu’à nous à travers l’art de la calligraphie japonaise et de ses tableaux-poèmes datent du XIIe siècle.
Dans le domaine des beaux-arts, les maîtres des XIVe et XVe siècle intègrent à leurs tableaux d’inspiration religieuse des objets réels ou des matières étrangères, pierres précieuses, colliers, plaques d’or ou d’argent, adages ou inscriptions, pour accroître le caractère sacré de leurs œuvres.

Au cours des siècles, les artistes de renom comme Gentile Bellini (1429-1507) ont été nombreux à avoir recours au découpage, à l’assemblage et au collage des matières. Toutefois, il s’agissait de créations conjoncturelles, marginales au regard de leur technique habituelle, et non d’une technique « pensée et méditée » telle qu’apparaîtra l’art du collage avec les mouvements avant-gardistes du XXe siècle.

L’histoire du collage moderne commence en 1912 avec l’expérience cubiste. Le collage devient alors élément fondamental de l’univers pictural. Les coups de ciseaux et les déchirures se substituent aux traits. Le collage implique une façon inédite de concevoir et de réaliser une œuvre en brisant les conventions établies attenantes au « travail classique » : il y a, par exemple, abandon des profondeurs de champs, des perspectives et des règles régissant les lignes de fuite et les premiers plans, les ombres et les lumières.

Les écoles, les mouvements, les courants, les philosophies utilisant les collages se multiplient. Citons pour exemple le cubisme (Pablo Picasso, Georges Braque, Juan Gris), le dadaïsme (Marcel Duchamp, Francis Picabia, Tristan Tzara, Hans Arp), le surréalisme (Max Ernst, Miro, Breton, Dali, Magritte)...

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La technique du collage est simple, voire banale. Elle consiste à prélever un certain nombre d’éléments dans des œuvres, des objets, des messages, des ensembles, des « tout » déjà existants et à les intégrer dans une création nouvelle pour « produire » une totalité originale où se manifestent des ruptures de types diverses. Le collage devient alors un assemblage par superposition, par juxtaposition, par composition. Il offre un travail sur le tout et la partie du tout.

Coller, c’est animer une surface, mettre en forme de l’imaginaire.

Le collage est d’abord une promenade au milieu des images avec la rencontre fortuite de fragments, de pièces ou morceaux. Après avoir mis à disposition des catalogues, des prospectus, des magazines, des publicités, des livres, des revues, des journaux, du papier, des ciseaux et de la colle, l’enfant va se mettre à feuilleter, à repérer, à sélectionner, à décomposer, à couper, à découper, à déchirer, à séparer, à arracher ….. puis à disposer, à combiner, à rapprocher, à organiser, à structurer, à superposer, à coller, à décoller, à recoller…

La rhétorique du collage est importante, indicative, notamment par rapport  au type d’élément ou de message prélevé, à la manière dont celui-ci est prélevé et à la manière dont l’enfant compose ou recompose le collage. Tel enfant n’utilise jamais les ciseaux ; il préfère déchirer les pages en bandelettes. Tel autre, après deux années de participation, continue de prendre des pages entières les recollant sur une feuille blanche ; il n’est pas encore question de couper le moindre petit morceau de page. Celui-ci ne semble s’intéresser qu’aux appareils électroménagers, ustensiles de cuisine, mobiliers. Celui-la n’a d’intérêt, semble-t-il que pour la nourriture, les promotions alimentaires de grandes surfaces.

Le collage, comme un texte, est porteur de sens. Le créateur, l’enfant, met dans son œuvre sa sensibilité, ses fantasmes, sa folie, ses préoccupations du moment.

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Imaginer et « inimaginer »

L’activité Collages proposé aux enfants, à Guénouvry, est une activité d’expression, thérapeutique et inductrice de changement (rapport entre le processus de créativité et la sublimation). Cette activité s’appuie sur la relation duelle et/ou groupale. Nous sommes dans un processus relationnel, dans un lieu d’échange, de transfert. Le but de la rencontre duelle et/ou groupale n’est pas de créer une œuvre esthétique mais d’utiliser le support du collage à mentaliser la vie pulsionnelle et imaginaire, à verbaliser la vie affective et émotionnelle, notamment pour des sujets souffrants d’une difficulté à symboliser (utiliser des objets de la réalité extérieure pour approcher une dimension intérieure)

Nous pouvons transposer au collage cette réflexion de René Passeron : « la peinture est un pansement du vide. Le vide, quand il n’est que l’espace entre les choses, n’est pas une blessure. Mais sur la toile, le vide, en tant qu’apparence simulée de tout vide (celui de l’être beaucoup plus que celui de l’espace), est béance dans l’apparaître... Tout pansement cache en même temps qu’il soigne et substitue son apparence perceptible à la non apparence de la blessure dès lors ouverte à l’imaginaire ». (article « Inimages », Revue d’Esthétique, 1978).

Pour aller plus loin ...

Gilles Courant / janvier 2003


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