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Allocution de Madame Marie-Louise Mahot, Présidente de l'ARTP, le 15 avril 2005

 

Le point d’orgue de l’année 2004 a été la Journée d’Etude du 6 novembre organisée à l’occasion du 30 ème anniversaire du Centre et en hommage à sa fondatrice Rose-Marie Guérin.
Cette journée a été un succès, aussi j’ai choisi de centrer mes propos sur les deux premières interventions du matin « Aux origines Maud Mannoni et les principes fondateurs », et « Histoire et création » et en conclusion, j’essaierai de vous donner quelques commentaires qui me sont revenus.

Lors de la première intervention « Aux origines et les principes fondateurs » on a pu remarquer la qualité des propos : ceux de Madame Rosati, bien sûr, actuelle directrice du Centre de Bonneuil, mais surtout ceux d’Yves Guérin. Certaines personnes m’ont fait remarquer que c’était la première fois qu’elles entendaient Yves, lui toujours si discret, parler avec un tel bonheur de son parcours : ses débuts avec les Familles d’Accueil à Bonneuil, son cheminement avec Rose-Marie auprès d’enfants perturbés qu’ils prenaient ensemble en charge, de leur arrivée à Guénouvry, de l’ouverture du Centre, de leur engagement à faire avec les enfants, et non pas pour les enfants, du recrutement des Familles d’Accueil…. Il a conclu en disant que tout cela a été l’occasion de rencontres plus « qu’heureuses ».

Dans la deuxième intervention « Histoire et création », ce fut aux collaborateurs de la première heure, de Rose-Marie et Yves, de nous faire partager l’ambiance de travail à Guénouvry.
Je résumerai ce que j’ai retenu de leurs propos et anecdotes, en trois mots ; Respect – Liberté – Empathie.

• Respect de soi, respect de l’autre en sa simple qualité de personne humaine dans ce qu’il dit, dans ce qu’il fait, dans ce qu’il est, respect de la liberté de chacun.

- C’est grâce à cette attitude profonde, respect de chacun, pour lui-même et pour l’autre, pour les enfants et les adultes, que chacun peut découvrir la liberté d’être, de dire, de faire dont la seule limite est le respect de la liberté de l’autre, et ce n’est pas peu dire.

« La liberté des uns s’arrête la « où commence la liberté des autres »

- Ce respect et cette liberté s’expriment pleinement grâce au climat de confiance et d’empathie qui existait et qui existe toujours à Guénouvry. Cette confiance, cette empathie n’est pas donnée d’emblée, elle se crée, se tisse à travers les relations quotidiennes ou chacun prend le risque de se « découvrir » en soi, et vis-à-vis des autres et ceci, chaque jour un peu plus, grâce à cette « liberté d’être », grâce à cet amour de soi et amour de l’autre, condition fondamentale à l’écoute et à l’attention à l’autre.

Respect – liberté – empathie, ont été, m’a t-il semblé, le fondement du « plaisir de travailler ensemble » (le transfert de travail dit on dans notre jargon psychanalytique) . C’est à partir de cela, que le personnel a pu impulser la vie à ces enfants « morts au désir » ! Ce que j’ai ressenti à travers cette histoire vivante qui nous a été narrée avec tant de bonheur, je le ressent encore aujourd’hui quand je rentre dans « Guénouvry ».

J’ajouterai deux remarques personnelles : une pour Gigi Bigot qui par son esprit vif et son humour a su ponctuer les différentes interventions et donner un petit air léger à ses choses si importantes de la vie.

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Et puis une seconde remarque pour la cuisinière.
Après tout, que les éducateurs, les docteurs s’occupent des enfants, et qu’ils s’en occupent bien et qu’ils en parlent, c’est leur travail, ils sont payés pour ça, quoi de plus normal. Mais la cuisinière ? Elle nous a parlé avec un tel bonheur de sa préparation des repas de tous les jours que nous avions l’impression d’être avec elle, comme un enfant parmi d’autres à casser des œufs, remuer la farine, brasser la pâte à gâteaux… je me suis permise de relever, tout particulièrement, cette intervention car je pense vraiment que dans une institution le soin passe par des chemins qui souvent nous échappent. La fonction de ces personnes, dites de service général, qui n’ont pas directement de responsabilité vis-à-vis des enfants est précieuse. Elles se présentent avec leur savoir faire, leur cœur, leur bon sens et participent, « mine de rien », à la thérapie institutionnelle, c’est d’ailleurs elles qui reçoivent les confidences d’un enfant alors même qu’il est en train de tourner la purée ou la pâte à gâteau, justement parce que dans « ce faire avec » et ce « être avec », l’enfant se sent pleinement exister et se laisse aller à dire. « C’est pour cela que j’ai toujours défendu le fait de ces personnes participent aux réunions institutionnelles, pour qu’elles soient pleinement reconnues et qu’à leur tour elles puisent dire »., car, comment donner la parole à l’autre, si soi-même on n’a pas le droit à la parole ? C’est aussi pour cela qu’on ne peut accepter l’intervention d’un service extérieur pour tout ce qui est cuisine, ménage, entretien dans le bâtiment. Combien de vocation d’enfants sont nées du « faire avec la cuisinière, l’homme d’entretien, la femme de ménage ! Voyez, qu’à travers ce que je vous dis là, aujourd’hui je suis loin de vous proposer une institution de professionnels hautement spécialisés. Il en faut certes, mais dans notre travail, il faut surtout des spécialistes de la vie qui sont passés par l’expérience de l’analyse, si possible !

Je serai bien incomplète, si je passais sous silence l’excellente, et j’aimerai ajouter « la succulente », prestation des représentants des familles d’accueil. Elles ont « emballées » l’auditoire par le récit de leur vie quotidienne avec les enfants, leurs questions sur le comment faire : Comment être… Comment répondre… quelles réponses données à toutes ces questions d’enfant parlées ou mises en scènes dans des comportements souvent incompréhensibles… Et voilà, qu’elles aussi, demandent une formation pour devenir des spécialistes qui savent car elles imaginent que les éducateurs du Centre savent, eux, que répondre, que dire, que faire, comment être ! alors que c’est en soi, dans le plus profond de son « être au monde » que chacun trouve sa propre réponse, mais, il est vrai, quand on s’occupe de ces enfants qui sont restés dans « l’archaïque », chacun a besoin de garde-fou, et le garde-fou ne peut-être qu’un lieu ou la parole de chacun soit prise en compte et libre de tout jugement.
Avec humour, a certains moments, avec gravité, à d’autres, elles nous ont fait un peu rentrer dans leur maison, leur intimité, en nous faisant partager leur vécu dans le quotidien, le vécu de leurs enfants, en relation avec cet autre qui vient « d’ailleurs » et qui est « ailleurs » qui est étranger, le vécu de leur mari, ou conjoint, qui endosse, qu’il le veuille ou non, la fonction du substitut paternel. Elles ont partagé avec nous leurs questions sur les loisirs, les clubs de rencontre entres elles avec les enfants, enfin tout ce qui fait la vie d’une famille.
En les écoutant, je me suis dit qu’on pouvait comprendre, dans un premier temps, l’inquiétude des familles naturelles et que cette question : « et si mon enfant se trouvait mieux dans l’autre famille » les inquiète ? Mais à ces familles, si elles m’écoutent, ou si elles ont l’occasion de me lire, je leur dirai, pour reprendre une expression d’actualité : « N’ayez pas peur », personne ne vous remplacera dans le cœur de vos enfants. Vos enfants vivent ce moment en famille d’accueil certes, mais c’est pour mieux vous investir, il est souvent nécessaire de se séparer pour mieux se retrouver. A vous de mettre à profit le temps sans l’enfant, pour mieux vous retrouver. C’est sur la force du lien que vous créerez entre vous que votre enfant s’ancrera pour son avenir.

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Pour conclure je vous donnerai quelques réactions de la salle.
- Dans le temps c’était bien, on avait la liberté de créer, d’imaginer des situations d’expression, pour les enfants. Maintenant, on est pris dans un carcan administratif, les cuisines sont aseptisées. On n’utilise plus les œufs mais de la farine d’œuf etc… C’est vrai que dans la société actuelle on tente partout pour ce qui est éducatif vers le risque zéro. Hors, éduquer un enfant est à longueur de temps une prise de risque ! Comment faire ? mais, là aussi, je pense que la personne humaine est pleine de possibilités créatives pour arriver à travailler avec les enfants en se mettant des gardes fou, tout en restant libre dans sa tête, le risque zéro n’existe que dans un monde fou.
- A l’époque, la psychanalyse avait le vent en poupe, maintenant ce sont les théories comportementalistes et cognitivistes qui sont reconnues ! alors comment recréer ces lieux pour dire, ces lieux pour vivre dont on a tant entendu parler aujourd’hui.
- L’essentiel c’est de savoir ce que l’on veut pour les enfants et d’élaborer sur les moyens qu’on veut mettre en œuvre pour que l’institution soit viable et vivante, c’est-à-dire qu’elle soit un lieu pour dire.
- Certaines personnes qui perdaient confiance en elle dans l’exercice de leur métier m’ont dit que tout ce qu’elles avaient entendu les avait stimulé, qu’elles avaient à nouveau envie d’y croire.
- Je formulerai un regret : absence de personnes de la DDASS, et ma crainte, à force de ne pas participer à ce type de rencontre, que le fossé se creuse encore plus entre la gestion administrative et nos institutions.


Marie Louise MAHOT