Présenté par Alain Didier-Weill et Moustapha Safouan Travailler avec Lacan
Aubier / Psychanalyse, 2007 |
Les discours spectaculaires sur Lacan, du ragot malveillant au ravissement idolâtre, n’aident guère nos contemporains à se faire une opinion sur son travail.
Sa pratique, souvent contestée, bien que référée à un rigoureux « retour à Freud », fut à l’origine de son exclusion de l’IPA (International Psychanalytic Association). Insidieusement, par le biais de ces discours, l’exclusion se poursuit : exclusion de l’expérience psychanalytique, qu’il avait contribué à régénérer et dont les étudiants d’aujourd’hui, nés après sa mort, ne peuvent plus avoir l’idée.
C’est
pourquoi, l’ouvrage « Travailler avec Lacan » - témoignages
présentés par Alain Didier-Weill et Moustapha Safouan –
a le mérite de la simplicité d’un compte-rendu. D’anciens
analysants y rapportent leurs propres remémorations, éclairant
de leurs questions personnelles, la pratique lacanienne.
Bien sûr, si l’on recherche, dans ces témoignages, une
connaissance de Lacan, comme voulaient le faire ces centaines d’intellectuels
parisiens, dévots du séminaire de la rue Saint Jacques, pressant
le citron du savoir, c’est la déception assurée. Et le
désamour qu’elle entraîne produit toujours distorsions
de l’histoire et souvenirs haineux. Si l’on accepte une lecture
sans préjugé, on découvre, au contraire, une pratique
singulière, certes, mais respectueuse du sujet et de sa parole.
D’emblée, Jean Clavreul nous dit : « en 1948, sur les conseils de Leuba, je suis allé voir Les sept sages de la S.P.P. Ils étaient très gentils et voulaient savoir qui j’étais –masochiste, hystérique, obsessionnel ? Avec Lacan, j’ai rencontré quelqu’un qui ne s’intéressait pas à qui j’étais mais à ce que je disais ; ça m’a tout de suite paru beaucoup plus intéressant ».
Privilégier « la vérité qui parle » aux dépends du « savoir comment-taire », est-ce pensable, aujourd’hui, quant la vérité tient au savoir des experts ? Lacan l’aura pourtant assez répété : la transmission passe, avant tout, par le signifiant.
A ce propos,
Philippe Julien rappelle ce qu’il énonçait, au cours d’un
séminaire (1) : « Il n’y a que la poésie que permette
l’interprétation. Et c’est pour cela que je n’y arrive
plus dans ma technique à ce qu’elle tienne » Et Julien
d’ajouter : « La poésie effet de sens, effet de trou ».
Formulation illustrant son effort concret permanent : provoquer une sidération
édifiante qui permette la levée du refoulé.
D’où la sulfureuse question de la ponctuation et des séances dites courtes : les nombreuses objections du passé qui alimentaient critiques et débats s’appuient, aujourd’hui, sur l’argument des chiffres, des statistiques et du chronomètre obsessionnel, en s’inscrivant dans le contexte théorique actuel de négation de la parole du sujet.
Ce sur quoi « Travailler avec Lacan » nous éclaire, c’est, justement, cette question cruciale en proie aux effets du transfert : au lieu de buter sur un Lacan fantasmé, les témoins nous disent que c’est avant tout la parole de l’analysant que celui-ci valorisait. Car il s’adressait sans détour et avec force au sujet de l’inconscient. Ils dégagent ainsi la silhouette d’un « praticien du symbolique ».
Mais, il était, aussi, un personnage public, et même si Moustapha Safouan rappelle qu’il savait jouer des masques et s’en distancier, ce fut là l’une des apories de sa pratique. La superposition du grand homme public maîtrisant le savoir, et du sujet supposé savoir, moteur du transfert dans la cure, n’était pas sans risque de parasitage. Les effets s’en ressentent encore, de nos jours. Simatos conclut ainsi, à propos de ce « maître hors des sciences », enregistré, au cours de son séminaire, par mille magnétophones, tentant de garder traces de ce qui, précisément, est destiné à être perdu : « Qu’advient-il des pratiquants de Lacan que nous sommes dès lors que nous le pratiquons comme nous le ferions d’une Diva ? »
C’est le mérite de ce petit livre que de relativiser et d’interroger, loin des discours préfabriqués, l’expérience singulière d’un Lacan, équilibriste, maniant sur le fil, le balancier du savoir et de la vérité. Il restitue clairement le déroulement d’une expérience unique, portée par une puissance interprétative bouleversante pour ses analysants.
Il vaut aussi pour la post-face d’Alain Didier-Weill qui conclut sur la position subversive d’un Lacan ne cédant pas sur son désir.
« Travailler avec Lacan » invite les analystes –ceux du moins qui restent fidèles au « retour à Freud » et dont « les méthodes ne se jugent que de l’intérieur »- à critiquer et débattre d’une pratique héritée d’un authentique créateur et qui ne supporte pas le mimétisme des adeptes du jeu de « Jacques a dit ». Il invite chacun de ceux qui le suivent à poursuivre indéfiniment le travail théorique d’interrogation permanente de Jacques Lacan.
(1) « L’insu que sait de l’une bévue… »
Guy Arthur
ROUSSEAU
31.03.2008